Article : L'Épuration après la Seconde Guerre mondiale

La volonté de purifier la Nation en châtiant ceux qui l'ont trahie apparaît dès les premiers mois de l’Occupation avec l’engagement du gouvernement de Vichy et d’une partie des Français dans la collaboration. Aux lois antisémites, à la surveillance des populations, à l'instauration du Service du travail obligatoire (STO) et aux difficultés du quotidien comme le rationnement, s'ajoutent les crimes et les exactions commis par les troupes nazies et leurs supplétifs français sur l'ensemble du territoire jusqu'à la Libération  : meurtres, attentats et agressions dans les Landes, dénonciations à Perpignan et à Paris auprès de l'État-major allemand, tortures menées par la Milice à Poitiers, massacre d'Oradour-sur-Glane, rafles de zazous dans l'Hérault et de Juifs dans tout l'Hexagone, exécutions d'otages en représailles à Rouen, vols, pillages et marché noir dans le Rhône ou trafic de cartes d'alimentation à Montpellier. 

 Référendum clandestin contre la politique de collaboration de Vichy, mai-juin 1941 (SC 4191) © Archives de l'Aisne 

Certains s'engagent dans la Résistance ; dès 1940, d'autres, pour manifester leur hostilité aux autorités allemandes et à la politique collaborationniste de Vichy, injurient et ostracisent les familles des ouvriers partis travailler en Allemagne, inscrivent "À mort Darlan" sur une vespasienne, conservent chez eux une chanson intitulée "Pierre Laval, nous voilà" ou expriment leur "dégoût et profond mépris" à l'égard des troupes d'occupation auprès du préfet de l'Hérault.

affiche menaçant de représailles les coupables d'injures à l'égard des familles des ouvriers partis travailler en Allemagne
Avis concernant les injures adressées aux familles des ouvriers travaillant en Allemagne, 19 juillet 1940 © Archives de Lille

L'Épuration sauvage

En 1944, le désordre induit par le recul des troupes allemandes et le délitement des autorités vichyssoises face à la progression des Alliés après les débarquements de Normandie et de Provence favorise l'émergence d'une justice populaire et la multiplication des règlements de comptes. Des membres de la Milice sont exécutés sommairement en Haute-Saône, des bombes explosent dans les locaux de la Légion des Volontaires Français contre le bolchévisme (LVF) à Besançon, un commissaire de police est lynché par la foule à Dijon, des collaborateurs sont arrêtés, pendus ou fusillés ; des femmes, accusées ou suspectées de "collaboration horizontale", sont humiliées et tondues, et parfois marquées au fer rouge comme la célèbre tondue de Chartres par une foule haineuse.

Une femme est arrêtée par des FFI sur une route. Des soldats américains observent la scène du haut d'un char
Arrestation d'une femme soupçonnée de sympathies nazies à Pré-en-Pail, 1944 (20 Fi 47) © Archives de la Mayenne
Groupe de femmes tondues sur une place, observé par la population
Airvault. Femmes tondues à la Libération, place des Halles,1944 (36 FI 2663) © Archives des Deux-Sèvres

L'Épuration légale

Dès sa création en Alger en 1943, le Comité français de libération nationale (CFLN), co-dirigé par les généraux de Gaulle et Giraud et constitué notamment de résistants comme Emmanuel d’Astier de la Vigerie ou Henri Frenay, instaure une Commission d’épuration, chargée d’enquêter sur les faits de collaboration. Présidée par François de Menthon, l'un des responsables du mouvement de résistance Combat, elle est chargée de "traduire en justice, dès que les circonstances le permettront, le maréchal Pétain et ses ministres, ceux qui avaient capitulé ou porté atteinte à la Constitution, ceux qui ont  collaboré avec l’ennemi".

Tract avertissant les habitats de Montpellier de l'arrivée des FFI et de la prochaine libération de la ville
Tract de la Résistance annonçant la Libération de Montpellier et l'épuration des fonctionnaires collaborateurs, 23 août 1944 (1 J 1832) © Archives de l'Hérault

En 1944, le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF), qui succède au CFLN, précise le cadre de la future épuration légale : une série d'ordonnances définit le crime d'indignité nationale sanctionné par une nouvelle peine, la dégradation nationale, substitue la Haute Cour de justice à la Commision d'épuration pour juger les membres du gouvernement et les hauts fonctionnaires de l'État français et crée les cours de justice, chargées de juger des crimes d’intelligence avec l’ennemi, et les chambres civiques pour juger du crime d’indignité nationale.

Les affaires traitées, dont les dossiers sont préparés par les commissions d'épuration des Comités départementaux de libération (CDL), en lien avec les Comités cantonaux de libération (CCL) et le Commissaire régional de la République, sont diverses : intelligence avec l'ennemi, adhésion à la Milice ou à un parti collaborationniste comme le Parti populaire français (PPF), engagement dans la LVF ou la Waffen SS, départs volontaires pour le travail en Allemagne, délations, marché noir, "relations avec les troupes allemandes", fréquentation de membres de la Sipo-SD, propos injurieux envers les Alliés etc.

Lettre du préfet du Cantal demandant que soit recherché un dénonciateur
Dénonciation d'un réfractaire au Service du Travail Obligatoire (STO) : recherche du dénonciateur, 1944 (40 Fi 1664) © Archives du Cantal

L'ensemble de la société et tous les secteurs d'activité sont concernés : la vie politique, parlementaires, conseillers généraux et maires,  l'armée et l'administration, préfets ou agents des collectivités locales, policiers et enseignants, postiers ou magistrats ; les professions libérales, médecins, pharmaciens ou architectes ; l'économie, banques, personnels de la SNCF, mineurs, entreprises ou dirigeants d'entreprise ; les médias, presse, radio et cinéma, les écrivains et les artistes. Arrêtés, les suspects sont enfermés dans des centres de détention, comme dans le Rhône ou à Mont-de-Marsan. En fuite, ils sont recherchés, même à l'étranger.

Liste dactylographiée des entreprises cannoises épurées
Épuration des entreprises, 1944 (4H61) © Archives de Cannes

Les accusés, selon la gravité de leur condamnation, peuvent encourir la peine de mort comme Pierre Laval, Robert Brasillach, Jean Luchaire ou le milicien Jean Reynaud en Ardèche, qui sont exécutés, contrairement au maréchal Pétain, emprisonné à perpétuité sur l'île d'Yeu ; l'indignité nationale, les travaux forcés comme le dessinateur Ralph Soupault, la réclusion criminelle à perpétuité et à la dégradation nationale comme Charles Maurras, l'inégibilité ou l'emprisonnement. Des comptes en banque sont bloqués, des entreprises mises sous séquestre et des biens confisqués ; des fonctionnaires mis à la retraite, radiés, rétrogradés ou mutés d'office. D'autres accusés peuvent être finalement amnistiés, relaxés ou acquittés et des affaires classées sans suite par les tribunaux.

Nombre et nature des condamnations prononcées par la Cour de justice de Caen
Nombre et nature des condamnations prononcées par la Cour de justice de Caen, 1945-1966,(999W/6) © Archives du Calvados

Les procès se poursuivent dans les années d'après-guerre et des enquêtes sont menées sur le comportement patriotique de certains pendant l'Occupation, notamment pour des postes d'agents communaux ou l'attribution de permis de chasse.

Néanmoins, dès 1947, une première loi amnistie les délits mineurs commis pendant l'Occupation, complétée par trois autres en 1949, 1951 et 1953. Les deux dernières, les plus importantes, bénéficient aux condamnés à la dégradation nationale et annulent les peines prononcées précédemment : l'épuration n'est plus au centre des débats publics.

Cette page s'inscrit dans le cadre des travaux du groupement d’intérêt public "Mission du 80e anniversaire des débarquements de la Libération de la France et de la Victoire" créé en 2023 et dont est membre le ministère de la Culture. 

Retrouver sur FranceArchives l'actualité du 80e anniversaire de la Libération dans les services d'archives

Les sources

Les sources proposées ci-dessous proviennent d'une sélection qui reflète la variété et la richesse des fonds mais ne vise pas à l'exhaustivité.

Archives nationales

Archives départementales 

Archives municipales

Ministère des Armées

Service historique de la Défense (SHD)

Ministère de l'Économie et des Finances - Service des archives économiques et financières (SAEF)

Séquestres des biens des groupements antinationaux (1943-1957)

Préfecture de police

Pour aller plus loin

Photographie de voitures calcinées au milieu d'une grange en ruines
Oradour : [voitures calcinées dans une grange en ruines], 1944 (6 Fi 237) © Archives de la Vienne

 

 

 

Liens