Page d'histoire : Léon Blum Paris, 9 septembre 1872 - Jouy-en-Josas, 30 mars 1950

 Léon Blum à Londres en 1936

La première partie de la vie de Léon Blum est peu connue du grand public. Né dans une famille de Juifs alsaciens "montés" à Paris, il manifeste très tôt, après de brillantes études à l'École normale supérieure et à la faculté de droit, un vif penchant pour la littérature et le théâtre et s'oriente vers la critique littéraire. Sa période la plus féconde fut sans doute celle où il participa à l'aventure de la Revue Blanche, qui joua un rôle important lors de l'Affaire Dreyfus. Jusqu'en 1914, Léon Blum allait écrire dans des revues très diverses. Face aux tenants d'une critique académique et conservatrice, représentée par Brunetière ou Jules Lemaître, il manifestait, au contraire, des idées très avancées. Il fit découvrir au grand public les œuvres de son condisciple André Gide et contribua à faire connaître Marcel Proust, Jules Verne, Rudyard Kipling ou Jane Austen... Léon Blum produisit aussi des essais (Les Nouvelles conversations de Goethe avec Eckermann, Stendhal…) Du Mariage, dans lequel il prônait l'initiation précoce des jeunes filles à l'amour, lui valut de violentes attaques, souvent empreintes d'antisémitisme.

Il exerçait en même temps ses fonctions de maître des requêtes au Conseil d'État. Son nom figure au bas de conclusions très souvent novatrices, notamment sur les questions de responsabilité ou de gestion communale. Dans cette première partie de sa vie, il noue de solides amitiés, avec le bibliothécaire de Normale, Lucien Herr, le dramaturge contesté Georges de Porto-Riche, André Gide et, bien sûr, l'homme qui le marquera durant toute sa vie, Jean Jaurès. Il participera à ses côtés aux combats de l'Affaire Dreyfus et aux luttes qui entourèrent l'unification du parti socialiste et la création de L'Humanité.

L'assassinat de Jaurès en 1914 marque, pour Léon Blum, la fin de sa carrière de critique littéraire et son entrée en politique. Directeur de cabinet de Marcel Sembat, ministre du ravitaillement durant la première guerre mondiale, il va s'affirmer comme le chef du parti Section française de l'Internationale socialiste (SFIO). Sa magistrale intervention au Congrès de Tours de 1920, le discours de la "Vieille maison" où il plaide avec force le refus du joug de l'Internationale de Moscou, fait de lui le leader incontesté des réfractaires au communisme. De 1920 à 1940, il dirige le parti socialiste, dans l'opposition comme au pouvoir. Directeur du Populaire, il publie des centaines de chroniques et d'éditoriaux qui définissent la ligne du parti, face à la montée des droites, l'intransigeance française envers l'Allemagne et la progression des fascismes.

1936 est pour lui l'apogée. Arrivé au pouvoir à la tête de la coalition des partis de gauche, son nom reste indissolublement lié au Front populaire. Avec les Accords Matignon, signés sous son égide, la France se transforme radicalement. L'augmentation des salaires, les congés payés, la limitation du temps de travail, l'interdiction du travail des enfants, les décisions sociales de son gouvernement suscitent l'enthousiasme des uns, la peur et le désir de revanche des autres. Sur le plan purement économique, le bilan du Front populaire restera contesté par la droite jusqu'à nos jours. 1936, date mythique, sera aussi pour Léon Blum une date tragique, puisque son nom reste attaché à la décision de ne pas intervenir en Espagne aux côtés du régime républicain menacé, afin de préserver les acquis du Front populaire.

En 1940, le chef de la SFIO, désormais contesté par l'aile pacifiste de son parti tentée par les sirènes du fascisme, s'oppose à l'armistice et lutte de toutes ses forces contre la remise des pleins pouvoirs à Pétain. Il fut l'un des "Quatre-vingts" parlementaires qui honorèrent la France par leur refus d'accepter la fin de la République et de la démocratie. Placé en détention à Bourassol, Léon Blum sera traduit en justice par le régime de Vichy. Le procès de Riom lui permettra de détruire toutes les accusations portées contre lui et contre le Front populaire et de donner force et espoir à la résistance socialiste. Léon Blum écrit alors ses pages les plus fortes dans son dernier ouvrage, À l'échelle humaine, passé en cachette hors de sa prison. Le leader socialiste remet en question nombre de problèmes fondamentaux, qu'il s'agisse de sa relation au christianisme ou au parti communiste. En 1943, il est subitement transféré dans une maison forestière, en bordure du camp de Buchenwald. Il y séjournera en compagnie de Georges Mandel, dont il apprendra plus tard le retour forcé en France et l'assassinat par la Milice. Libéré en 1945, Léon Blum, malgré un bref retour à la tête du gouvernement en 1946, va passer ses dernières années dans une semi-retraite. Avec Guy Mollet, une nouvelle génération prend le pouvoir au parti socialiste. Il ne cessera cependant de prodiguer ses conseils à son ami, le président Vincent Auriol.

Français par toutes les fibres de son âme, Léon Blum n'en était pas moins un Juif conscient, fier de son peuple et de sa judéité, en butte à un antisémitisme constant et virulent. Depuis la Première guerre mondiale, il n'a cessé de soutenir l'entreprise sioniste. Il entretiendra jusqu'à la fin de sa vie une grande amitié avec Haïm Weizmann, chef du mouvement sioniste et premier président de l'État d'Israël.

Ilan Greilsammer
professeur de sciences politiques à l'université Bar-Ilan (Israël)

Source: Commemorations Collection 2000

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