Page d'histoire : Prosper Mérimée Paris, 28 septembre 1803 - Cannes, 23 septembre 1870

Photographie de Prosper Mérimée
écrivain et sénateur,
anonyme, album Disdéri Musée d'Orsay
© RMN / J-G Berizzi

Dessin de Jean Henriquel-Dupont Compiègne,
musée national du château de Compiègne
© Musée de Compiègne

Prosper Mérimée a laissé une grande oeuvre. Dix-huit nouvelles, dont une demi-douzaine comptent parmi les balises de l’histoire littéraire, et des centaines d’édifices, arcs de triomphe, cathédrales, palais, avec des statues, des fresques, des tapisseries, des retables, qui font vivre le passé grâce à l’inspecteur général des Monuments historiques. Traducteur, il a fait connaître des œuvres de Pouchkine et de Gogol aux lecteurs français. Historien, il a été le premier à fonder une monographie de Pèdre Ier de Castille sur des documents des archives de Madrid et de Barcelone. Cette inscription dans plusieurs domaines culturels assure une rare originalité àson œuvre, en même temps qu’elle provoque la réticence de nombreux commentateurs à l’égard de la vocation plurielle de l’auteur.

Fils d’une mère peintre et d’un père qui a délaissé les arts pour leur enseignement – il est professeur à l’École polytechnique et secrétaire perpétuel de l’École des Beaux-Arts – , Mérimée est destiné à prendre part à la vie culturelle de son temps. Il débute très jeune : à vingt-deux ans, son premier livre, le Théâtre de Clara Gazul, lui apporte son premier succès. Suivent La Guzla (1827), poésies pseudo-« illyriques » que des spécialistes prennent pour authentiques, si convaincant est l’amour de Mérimée pour cet ailleurs primitif qu’il ne cessera de recréer ou de restaurer ; la Chronique du règne de Charles IX (1829), reconstitution sobre du passé par un romancier revenu de Walter Scott ; une série de nouvelles, genre dont l’écrivain se servira désormais pour raconter des drames où la part sauvage de l’homme l’emporte fatalement sur les acquis de la civilisation.

En 1834, avec sa nomination au poste d’inspecteur général des Monuments historiques, une deuxième vocation s’ouvre devant Mérimée. Il y fait œuvre de créateur : comme le poste n’existe que depuis 1830, il doit poser et combattre des principes, inventer des pratiques, instaurer, d’abord, plus que restaurer. Autour des fleurons de son oeuvre, comme Saint-Savin ou Vézelay, se presse la foule de monuments et d’objets dont la sauvegarde lui est due, ne serait-ce que partiellement, qu’il fût commanditaire de travaux, pourvoyeur de crédits, ou qu’il ait pesé de son influence en faveur d’un projet. L’essor que prend la cause des monuments sous sa direction se laisse chiffrer : en 1834, lors de sa prise de fonction, les crédits de restauration étaient de 95 000 francs ; en 1848, ils atteignent 800 000 francs.

Les deux vocations de Mérimée sont solidaires. Au-delà des interférences thématiques La Vénus d’Ille (1837) est une aventure d’archéologue, Carmen (1845) a pour toile de fond des interrogations historiques remontant à l’Antiquité, Lokis (1869) traite de la disparition des langues primitives – ,l’œuvre de l’écrivain et l’œuvre de l’archéologue sont aimantées par la même fascination des origines, de l’archè. Par là s’explique aussi l’intérêt de Mérimée pour l’histoire. En 1844, ce n’est pas seulement l’auteur de Colomba, mais aussi celui de l’Essai sur la guerre sociale qui est élu à l’Académie française et, après 1846, lorsque l’écrivain se tait pour vingt ans, c’est l’historien qui tiendra la plume, en explorant, en Espagne, en Russie, des époques régies par des moeurs violentes, plus proches des sources que le présent timoré de la France.

En 1853, le vieil ami de la famille de Montijo est nommé sénateur, il sera désormais assidu à la cour et aidera Napoléon III à préparer son livre sur César. À notre époque encore, on lui reproche son ralliement à un régime politique décrié. Rappelons, toutefois, que son unique intervention dans la vie politique fut sa tentative de rapprocher Thiers de l’impératrice, le 20 août 1870, et qu’il ne démissionna de son poste d’inspecteur qu’obligé par la maladie, de sorte que c’est aux monuments surtout que profita sa haute position.

De nos jours, l’oeuvre de Mérimée rencontre un accueil étrange. L’écrivain est lu, ses nouvelles sont rééditées sans cesse dans toutes les collections de poche. Pourtant, les critiques se désintéressent de son oeuvre, probablement à cause de sa singularité : ni romantique, ni réaliste, elle est inclassable et, de plus, elle diffère essentiellement de la littérature environnante par son esthétique du peu, qui détermine jusqu’au choix du genre, plutôt déprécié en France, de la nouvelle. Contraire aux descriptions et aux analyses et favorisant, par là, le positif, cette esthétique est aussi à l’origine de la prétendue « sécheresse » de Mérimée, une idée reçue par laquelle la critique justifie ses réticences. Celles-ci n’ont été aucunement atténuées par la récente vogue de Carmen qui, à partir de l’opéra, a promu un mythe tout en laissant dans l’ombre, sinon en y repoussant, la nouvelle où il a pris naissance. L’œuvre de l’inspecteur des Monuments subit le destin contraire. Si le promeneur ignore que l’édifice qu’il admire a été conservé grâce à Mérimée, pour les archéologues, son nom est incontournable. Ce nom, il est vrai, à la différence de celui d’un Viollet-le-Duc, d’un architecte chargé des travaux, ne se rattache pas au monument dont l’inspecteur général a commandé la restauration, mais il demeure le nom du fondateur d’une politique d’ensemble de la conservation du patrimoine français. L’étrangeté de l’accueil s’accuse davantage du fait que les recherches littéraires et archéologiques sont coupées les unes des autres, comme si l’inspecteur des Monuments et l’écrivain n’étaient pas la même personne. Rien d’étonnant, par conséquent, à ce que leur identité échappe complètement aux non initiés. Quant à Mérimée historien, les chercheurs s’intéressent si peu à ses travaux que le public d’aujourd’hui ignore jusqu’à son existence.

En 1903, le centenaire de la naissance de Mérimée a passé inaperçu. En 1920, cinquantenaire de sa mort, la presse a célébré l’écrivain, donnant l’impulsion à d’importants travaux d’édition et de recherche. En 1953, la Bibliothèque nationale a présenté une grande exposition de plus de cinq cents pièces. En 1970, les archéologues surtout lui ont rendu hommage par une exposition et par diverses publications. 2003 est le bicentenaire de sa naissance. Le temps est venu, peut-être, de reconnaître la pluralité des dimensions de son œuvre et sa valeur.

 

Antonia Fonyi
chercheur au CNRS/ITEM

Source: Commemorations Collection 2003

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