Page d'histoire : Haussman est nommé préfet de Paris 23 juin 1853

Le grand plan aquarellé de Paris, 1853
Bibliothèque administrative,
Paris © Bibl. adm., Paris

Le 23 juin 1853, le préfet de la Gironde, Georges Haussmann, apprend qu’il vient d’être nommé préfet de la Seine. En seize ans et demi, les grands travaux de Haussmann vont transformer Paris.

Né le 27 mars 1809 à Paris, Haussmann est entré en mai 1831 dans la carrière préfectorale, et doit à Louis-Napoléon Bonaparte, président de la IIe République, d’être enfin nommé préfet, dans le Var en janvier 1849, puis dans l’Yonne et, en novembre 1851, dans la Gironde.

Napoléon III, empereur des Français le 2 décembre 1852, apprécie Haussmann. Dès son retour d’exil à l’automne 1848, il a entrepris de moderniser Paris à l’égal de Londres. Son plan : relier les gares les unes aux autres par de larges boulevards, percer une grande croisée nord-sud de la gare de l’Est à la porte d’Orléans, et ouest-est de l’Étoile à la Bastille. Permettre à tous les Parisiens de circuler aisément, donc stimuler les affaires, et contrôler les quartiers populaires en détruisant les ruelles impénétrables, propices aux barricades. Napoléon III veut aussi des parcs, de la verdure, de l’air et de la lumière, et que Paris devienne une fête.

Cela coûte de l’argent : la Ville est riche, grâce à l’octroi, une douane intérieure que l’on perçoit sur les marchandises entrant dans la ville, mais il faut emprunter. Paris n’a pas de maire comme aujourd’hui ; le préfet de la Seine – la Seine, ce département disparu en 1964-1967 pour donner naissance à la ville de Paris et aux trois départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne – est le véritable maire de la capitale. Cependant, même sous tutelle, la Ville est frondeuse, et le prédécesseur de Haussmann, le préfet Berger, craint l’opinion. Napoléon III cherche une brute pour appliquer son pro-gramme : ce sera Georges Haussmann.

Le nouveau préfet de la Seine est un organisateur-né. Il détecte parmi les fonctionnaires en place les hommes de talent, apporte du sang neuf en faisant venir des collaborateurs de qualité qu’il a connus en Gironde et dans l’Yonne, Alphand, grand maître des jardins puis de la voirie, Belgrand qui va doter Paris d’un puissant système d’aqueducs amenant de l’eau pure en quantité,et d’un incomparable réseau d’égouts. Les chaussées, macadamisées ou pavées, sont bombées, avec un caniveau de chaque côté. Des trottoirs en granit les bordent, ornés de bancs, de kiosques et de fontaines. Des arbres rythment le parcours, ormes et tilleuls, marronniers que Haussmann affectionne, platanes qu’il a découverts dans le Var. Sous les rues, des canalisations apportent l’eau potable à chaque immeuble, d’autres collectent les eaux usées et les eaux de pluie.

Aux moyens techniques et humains s’ajoutent les financements procurés par de grands emprunts. Le préfet multiplie les rues nouvelles ; le boulevard de Sébastopol prolonge le boulevard de Strasbourg entrepris par Berger ; il se continue par le boulevard du Palais et le boulevard Saint-Michel ; voilà réalisé l’axe nord-sud. La rue de Rivoli, dont les travaux se traînaient depuis la Révolution, rejoint la Bastille, écornant au passage la tour Saint-Jacques, et engendrant la place du Châtelet, l’avenue Victoria, la place de l’Hôtel de Ville ; sur la rive gauche lui répondent la rue des Écoles et l’immense boulevard Saint-Germain. La Seine, resserrée entre des quais de pierre, voit son niveau s’élever, et cesse d’être un égout boueux pour devenir l’un des plus beaux fleurons du décor parisien.

La ville s’agrandit ; de douze arrondissements à l’intérieur du mur des Fermiers généraux (nos boulevards extérieurs), elle passe, au 1 er janvier 1860, à vingt arrondissements s’étendant jusqu’aux fortifications édifiées dans les années 1840 par l’annexion de communes telles que Belleville, Passy, Auteuil, Montmartre. La vision du baron Haussmann prend toute son ampleur avec les Champs-Élysées, l’avenue de la Grande-Armée et l’avenue Foch (alors avenue du Bois), la place de l’Étoile qui reçoit son aménagement définitif, le boulevard Malesherbes. Ce sont également le boulevard Haussmann (bel hommage de Napoléon III à son préfet), la rue La Fayette, le boulevard Magenta, le boulevard du Prince-Eugène (Voltaire), la place du Château d’Eau (de la République), le boulevard Richard-Lenoir qui couvre le canal Saint-Martin, la place Daumesnil, la place du Trône (de la Nation) et son étoile de belles avenues ; et l’aménagement de Chaillot et de Passy, et la création de la place du Trocadéro. Rive gauche, se greffant sur le boulevard Saint-Germain, le boulevard Raspail, la rue de Rennes, la rue Monge. Et l’île de la Cité vigoureusement déblayée pour laisser place à un vaste parvis devant Notre-Dame, à l’Hôtel-Dieu et à de grands édifices publics.

L’Opéra construit aux frais de l’État par Charles Garnier est mis en valeur par l’aménagement du quartier avoisinant et le percement de l’avenue de l’Opéra. On multiplie les bâtiments civils, tribunal de commerce, palais de justice, théâtre du Châtelet, théâtre de la Ville, préfecture de police. Mais aussi des casernes de pompiers, des églises (Sainte-Clotilde, Saint-Augustin), des synagogues, des temples protestants, des mairies d’arrondissement, les halles centrales, vastes parapluies de fer dessinés par l’architecte Baltard sur une idée de Napoléon III, la prison de la Santé, Sainte-Anne, des marchés. Et le bois de Vincennes qui fait pendant au bois de Boulogne ; dans les deux parcs, des hippodromes. Puis Montsouris, les Buttes-Chaumont, le Luxembourg et le parc Monceau remodelés, des squares.

Un sixième de Paris est reconstruit. Les immeubles qui s’alignent le long des avenues rectilignes ont de belles façades ornées de balcons, portées par des colonnes et des piliers qui leur donnent un air de palais bourgeois dotés du confort moderne avec eau et gaz à tous les étages. On circule pour un prix modique grâce aux omnibus à chevaux, à moins que l’on ne préfère le fiacre, ancêtre de nos taxis. En 1855 et en 1867, deux grandes expositions universelles étalent aux yeux du monde ce nouveau Paris, bâti en belle pierre blonde, surgi au milieu de la ville médiévale, pleine de charme mais aussi refuge de la misère et du choléra. Paris rectiligne, sain, confortable, peu accueillant aux pauvres repoussés dans de nouvelles banlieues grandies n’importe comment. Paris tapageur, boursicoteur et affairiste. Paris d’Offenbach, des grands magasins, des grandes banques ; deux millions d’habitants à l’orée de 1870.

L’activisme de Haussmann finit par lasser. Toujours des travaux, des dépenses pharaoniques. Certaines rues fraîchement inaugurées, courant à travers champs dans les arrondissements périphériques, semblent n’avoir d’autre but que d’enrichir les entreprises de travaux publics et les propriétaires qu’on exproprie à prix d’or. Le préfet a-t-il vraiment les mains nettes ? Un jeune avocat républicain dénonce « Les comptes fantastiques d’Haussmann » : il s’appelle Jules Ferry. Napoléon III veut se donner une image libérale ; il révoque, le 5 janvier 1870, le baron Haussmann, symbole, par sa raideur et son mépris de l’opinion publique, d’un autoritarisme dépassé.

Michel Carmona
professeur à l’université de Paris IV-UFR de géographie

Source: Commemorations Collection 2003

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