Page d'histoire : Auguste Comte Montpellier, 17 janvier 1798 - Paris, 5 septembre 1857

Buste d’Auguste Comte
On aperçoit dans la glace le portrait d’A. Comte par Etex
Paris,  © Musée Auguste Comte
 

Décédé à Paris le 5 septembre 1857 sous le Second Empire, Auguste Comte ne pouvait guère prévoir qu’une certaine représentation de son système philosophique deviendrait la vulgate de la Troisième République, ni qu’une de ses devises - Ordre et progrès - servirait sur le drapeau brésilien. Il misait plutôt sur les progrès de sa « religion de l’humanité ». Celle-ci a défavorisé sa postérité. L’aspect systématique de son oeuvre, donc polémique, a suscité bien plus que des engouements et a servi comme un fer de lance dans les luttes politiques aussi bien qu’intellectuelles. Auguste Comte établit l’association entre morale et sociologie, déterminante pour la pensée française au début du vingtième siècle : la séparation des Églises et de l’État, pour laquelle les positivistes ont durement lutté, n’allait  pas sans l’élaboration d’une morale laïque appuyée sur une science des moeurs. Cet aspect scientifique de la pensée de Comte refait aujourd’hui l’actualité.

Créateur du mot « sociologie », Comte voyait d’abord dans l’organisation de ce domaine de la connaissance sa contribution propre à la science positive. Elle était l’objet de sa réflexion philosophique, et elle est désormais étudiée pour elle-même. Si la moitié du Cours de philosophie positive est consacrée à la sociologie, c’est pourtant la théorie du progrès qui y est d’abord essentielle ; il faudra attendre le Système de politique positive, ouvrage terminé trois ans avant sa mort, pour que Comte donne des exposés plus précis sur le thème de l’ordre. Pour devenir une science positive, la sociologie a dû par la suite rompre les liens qui l’unissent fortement chez Comte à la philosophie de l’histoire.

Cette philosophie a pourtant des conséquences importantes et elle lie Comte à la morale républicaine réalisée  par l’éducation. Diffusion et popularisation des connaissances générales dans un souci d’information pour tous, tel est le leitmotiv des positivistes. Contrairement à ce que l’on croit selon une déformation scientiste, Comte ne favorise pas les spécialisations scientifiques ; il prend le parti de l’histoire générale des sciences. Son histoire est alors orientée par « ordre et progrès », et elle est « utile » en ce sens humaniste profond qu’elle doit aller des sciences les plus simples et les plus extérieures à l’homme comme les mathématiques, à celles qui en sont les plus proches. Aussi dans la république positiviste, Comte sépare-t-il le pouvoir dit spirituel des enseignants du pouvoir dit temporel. Il y a toujours là une question pour aujourd’hui et pour la laïcité, et ce pourrait être celle du cent cinquantième anniversaire de sa disparition, à une époque où le progrès même des sciences semble aller contre le progrès humain, réduit à la prolifération irréfléchie des seules techniques. La maison Auguste Comte à Paris offre, avec le musée formé par l’appartement conservé du maître, le lieu ad hoc pour vraiment lire Comte, et bénéficier de sa pensée.

Avec Auguste Comte, la philosophie a abandonné la théorie de la connaissance pour une théorie de la science, comprise comme le produit de la société dans son histoire. Il ne serait donc pas juste d’oublier Comte comme philosophe de la connaissance. Comme pour Kant, le sujet chez Comte est le pivot de la connaissance mais, en outre, il ne se maintient dans son identité de sujet connaissant que dans sa relation à l’objet connu (ou à connaître), qui lui donne son statut. Auguste Comte découvre ce qu’il appelle « la véritable économie intellectuelle » dont la base n’est autre que la première loi de la théorie statique de l’entendement. Elle est la « subordination totale de l’homme envers le monde », comme il l’écrit dans son Système de politique positive (III, p.18). Cette loi tient lieu de toute l’analytique transcendantale de la Critique de la raison pure de Kant. Pour Comte, nos langages scientifiques évoluent avec notre société. Philosophe des mathématiques, ayant l’avantage sur Kant de les enseigner au plus haut niveau de cette discipline, Comte comprend la mathématique comme une construction historique de l’esprit humain, dont l’objectif est d’obtenir la véritable généralité des objets très spécifiques qu’elle manie. Ainsi, Comte manifeste l’achèvement de l’algèbre cartésienne comme géométrie analytique : une droite devient une équation linéaire, et sert alors par la notion de tangente (calcul d’une dérivée) à l’interprétation des courbes. On comprend que Comte ait critiqué Condillac. Cette géométrie élémentaire, définitive selon Comte qui ne s’est guère trompé, n 'est pourtant pas sans futur à ses yeux : Comte projette une reconnaissance a priori des formes géométriques.

L’influence en sociologie n’a pas été moins profonde. Émile Durkheim est impensable sans Auguste Comte, bien qu’il ne le cite guère : la distinction dunormal et du pathologique, la thèse de l’extériorité des faits sociaux ou encore la place accordée à l’histoire dans l’explication sociologique en témoignent. Raymond Aron avait appris d’Alain à apprécier Comte, et c’est chez ce dernier qu’il a trouvé le concept de société industrielle dont il attendait qu’il nous permette de dépasser le conflit du capitalisme et du socialisme.

Michel Bourdeau, Jean Dhombres et Angèle Kremer-Marietti

Source: Commemorations Collection 2007

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