Page d'histoire : Maximilien de Robespierre Arras, 6 mai 1758 - Paris, 28 juillet 1794

Robespierre en habit de député du tiers état, huile sur toile par Pierre Roch Vigneron
(Copie du pastel exposé au Salon, en 1791, par Adélaïde Labille-Guiard), vers 1860
Versailles, Musée de Versailles
© RMN/Gérard Blot

Lorsque l’Assemblée constituante se sépara le 30 septembre 1791, Robespierre régnait déjà sur l’opinion. On cherche souvent le secret de ce magistère dans le caractère de l’homme. De la disparition précoce de ses parents aux longues années de réclusion au collège Louis-le-Grand, on a déduit la solitude, la misanthropie… Pures conjectures : il est vain de chercher « l’Incorruptible » dans l’enfant d’Arras. Revenu après la fin de ses études dans sa ville natale pour y exercer la profession d’avocat, Robespierre mène la vie rangée d’un bourgeois provincial, ni riche ni pauvre et reçu par la bonne société locale comme l’un des siens.

Le plus frappant est l’intuition qu’il eut dès 1789 – le tiers état d’Arras l’avait élu aux États généraux – de l’irrésistibilité du torrent révolutionnaire. Il s’abandonna au courant, jamais en avant de la Révolution, longtemps à sa suite, attentif à ne pas s’en séparer. La notoriété ne vint pas immédiatement. C’est au club des Jacobins, et non dans l’Assemblée constituante, qu’il conquit un pouvoir d’opinion. L’homme était meilleur orateur qu’on ne le dit ; surtout, il affectait, dans ses paroles, sa mise et sa vie, une simplicité toute démocratique qui flattait le sentiment d’égalité des Jacobins. Il possédait en outre la force morale propre aux convaincus. Lui ne jouait pas à la Révolution, il s’était investi tout entier et sans retour dans la politique. D’une pureté absolue,  détestant sous le nom de « bourgeois » les passions et les égoïsmes privés, adorant sous le nom de « malheureux » un peuple à l’image de la bonté native de l’homme, il incarnait cette sensibilité que la lecture de Rousseau avait inculquée à son public. Son éloquence, mélange du Contrat social et de La Nouvelle Héloïse, s’accordait à l’air du temps.

Fort de la puissance conquise aux Jacobins, il s’imposa finalement à la Constituante en lui arrachant le 17 mai 1791 un décret sur la non rééligibilité de ses membres à la prochaine Assemblée législative. Ceux-ci rentrèrent dans l’obscurité, lui conserva sa « chaire » aux Jacobins. Rentré à Arras revoir les siens, il trouva la situation changée à son retour à Paris à la fin de 1791. La guerre était à l’ordre du jour. Il s’y opposa, tout comme, un peu plus tard, il se déclara contre ceux qui prônaient l’établissement d’un régime républicain. Il appartenait, au fond, à la génération de 1789  convaincu, malgré ses critiques, que la Constituante avait accompli l’essentiel des changements nécessaires et même que l’existence d’un roi n’était pas incompatible avec la liberté. Mais, hostile à toute idée d’insurrection, il se tut lorsqu’elle devint certaine, pour reparaître aux Jacobins le lendemain de la chute du trône le 10 août 1792, tout approuver et recueillir le bénéfice d’un combat qu’il n’avait pas livré. Tout-puissant aux Jacobins, maître de la Commune de Paris, il dirigea le choix des députés de la capitale à la Convention nationale.

Les Girondins lui disputèrent le pouvoir de longs mois. Leur chute, le 2 juin 1793, lui ouvrit les portes du Comité de salut public (27 juillet). Autant il avait, les mois précédents, instruit le procès de la représentation et flatté les aspirations à une égalité qui ne se limiterait pas à celle des droits afin de mobiliser la rue contre les Girondins, autant, désormais, il s’opposa à tout ce qui empêcherait la Convention d’achever paisiblement son ouvrage : Robespierre au pouvoir et les traîtres éliminés, le peuple était désormais dans la représentation nationale. En vérité, la situation resta longtemps incertaine. Les hébertistes qui avaient prêté leur concours contre les Girondins n’entendaient pas déposer les armes sans avoir recueilli le bénéfice de leur victoire. Il fallut livrer les têtes qu’ils réclamaient, autoriser la politique de terreur à outrance qu’ils prônaient et les laisser même engager la « déchristianisation » dont ils rêvaient. La marge de manoeuvre du Comité de salut public était étroite, puisqu’il devait aussi se garder, sur sa droite, des dantonistes qui tentaient d’entraîner la Convention en réclamant une politique de clémence. Partie dangereuse, qui avait pour enjeu le pouvoir et pour sanction la mort des perdants. L’élimination quasi simultanée des hébertistes, le 24 mars 1794, et des dantonistes, le 5 avril, porta Robespierre au sommet de la puissance et donna le signal d’une reprise en main générale. Tout rentra dans l’orbite du Comité, lui-même soumis à l’Incorruptible. Pour un temps délivré de toute opposition, celuici réunit entre ses mains une autorité considérable, sans exemple dans l’histoire française. Pouvoir immense, mais fragile. Avec la mise au pas du Paris militant avait disparu le « peuple » qu’il avait plus d’une fois appelé à la rescousse. Une petite troupe fidèle jusqu’au sacrifice l’entourait et l’adulait, mais le fondement de sa puissance, déjà, se dérobait : il avait perdu cette connivence qui l’avait toujours maintenu à l’unisson de l’opinion. Robespierre était désormais à la merci d’un simple renversement de majorité parlementaire.

Le 7 mai 1794, la Convention institua sur son ordre un culte dédié à  l’Être suprême. Robespierre entendait ainsi donner un fondement moral à la république appelée à naître sur la ruine des factions. Il légiférait pour les temps futurs. L’opinion ne s’y trompa pas, voyant dans la fête célébrée le 8 juin la promesse d’une normalisation politique. Mais l’illusion ne dura pas.  Robespierre ne pouvait se passer de la peur qu’il inspirait : deux jours plus tard, il arracha à la Convention la fameuse loi du 22 prairial qui supprimait toute apparence de justice dans la procédure du Tribunal révolutionnaire. Tous ceux qui se sentaient menacés eurent cette fois si peur qu’ils puisèrent là les ressources d’un courage tout neuf.

Il est difficile de reconnaître le génial tacticien dans le Robespierre qui  renonça alors à paraître tant à la Convention qu’au Comité pour se consacrer à la rédaction du discours qui lui permettrait d’en finir une fois pour toutes avec ses ennemis. Retardant le moment de frapper, il laissa à ceux-ci le temps de se concerter. Le 8 thermidor (26 juillet), il monta à la tribune. Croyait-il pouvoir vaincre encore, ou pressentait-il qu’il jouait sa dernière partie,  certain de sa chute, âgé de seulement trente-six ans mais déjà l’air d’un vieillard ? On l’ignore, mais son discours tomba à plat. La Convention, devinant la faiblesse du « tyran », retrouva la voix, une accusation en entraînant une autre, Robespierre assistant, sans voix ou presque, à sa propre chute. Il connaissait la suite, pour l’avoir infligée à tant d’autres : le décret d’arrestation, le Tribunal révolutionnaire, l’échafaud. Un dernier sursaut de la Commune modifia quelque peu le scénario, mais Robespierre n’en fut que le spectateur résigné. Dans la nuit du 9 au 10 thermidor, il tenta de se suicider et se manqua. Guillotiné le lendemain, il commença une longue existence posthume, entre légende noire et légende blanche, tyran et précurseur des dictateurs modernes pour les uns, saint et martyr pour les autres.

Patrice Gueniffey
directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales,
Centre de recherches politiques Raymond Aron

Source: Commemorations Collection 2008

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