Page d'histoire : André Chastel Paris, 15 novembre 1912 - Paris, 18 juillet 1990

Avant André Chastel, personne n’avait exercé un magistère aussi puissant sur l’histoire de l’art en France. Après avoir enseigné l’histoire de la Renaissance à l’École pratique des hautes études puis l’histoire de l’art moderne à la Sorbonne, il occupa la chaire d’art et civilisation de la Renaissance en Italie au Collège de France de 1970 à 1984.

Il hérita du prestige de son maître Henri Focillon et s’efforça toute sa vie de donner une place à l’analyse et à la connaissance des formes artistiques dans la culture de ses compatriotes, tout en cherchant à asseoir le développement scientifique de la discipline dans l’enseignement supérieur.

Pour ce littéraire à la plume admirable, entré à l’École normale supérieure en 1933 dans la même promotion que Roger Caillois, il importa tout de suite de regarder au-delà de nos frontières. L’Institut Warburg de Londres, où s’était réfugiée la fine fleur de l’érudition allemande après le désastre du nazisme, l’attira immédiatement. Il en retira un goût pour l’iconologie, pour l’étude croisée des sources littéraires et philosophiques et des formes. Son objet d’étude privilégié, l’Italie de la Renaissance, l’y invitait. Ses ouvrages sur le néo-platonisme dans la Renaissance florentine restent fondamentaux. Côtoyant les plus grands historiens de l’art de la péninsule, Roberto Longhi in primis, Chastel se rendit compte de l’importance que l’histoire de l’art tenait dans le liceo classico italien depuis la réforme Gentile et du renouveau considérable que connaissait l’Italie d’après-guerre dans le domaine de la muséologie, de la restauration, des études formelles, historiques et philologiques. Il n’eut de cesse de se mesurer avec ce modèle. Sa fréquentation amicale de l’élite de l’histoire de l’art, de Meyer Schapiro à Willibald Sauerländer – en particulier au sein du Comité international d’histoire de l’art – le mit au contact des historiographies les plus variées. S’il en diffusa certaines, il fut en revanche peu sensible aux questionnements apportés par les intellectuels français comme Deleuze, Foucault ou Damisch, et son hostilité à son collègue Pierre Francastel, qui promouvait une approche sociologique, aboutit à des clivages douloureux au sein de la communauté des chercheurs.

Malgré tout, il sortit la plupart du temps victorieux de ses innombrables combats.

Il fallait une revue scientifique digne de ce nom, ce fut, après la brève tentative d’Art de France, la Revue de l’art, fondée en 1968 et toujours bien vivante. La France peinait à connaître et à cataloguer son patrimoine, ce fut la création de l’Inventaire général, bénie par André Malraux. Les études sur l’architecture – et particulièrement sur celle de notre pays – étaient renouvelées par des historiens étrangers du calibre d’Anthony Blunt : il appuya de toutes ses forces les initiatives de Jean Guillaume au Centre d’études supérieures de la Renaissance à Tours. Pour éclairer les Français sur l’actualité artistique mondiale, Chastel tint une tribune flamboyante dans Le Monde. L’histoire de l’art était absente des programmes scolaires, il milita, cette fois-ci sans succès, pour la création d’une agrégation. Il n’aura pas vu la naissance de l’Institut national d’histoire de l’art, créé en 2001 après de nombreuses tentatives, mais il en eut le premier l’idée et le mérite doit lui en être rendu.

Philippe Sénéchal
professeur à l’université de Picardie Jules Verne
directeur des études et de la recherche à l’INHA

Source: Commemorations Collection 2012

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