Page d'histoire : Jeanne d'Arc Domrémy (Vosges), janvier 1412 Rouen, 30 mai 1431

Jeanne d’Arc écoutant les voix
Huile sur toile d’Eugène-Romain Thirion, 1876 Ville de Chatou, église Notre-Dame
© Inventaire général, 1985

Jeanne* est née en janvier 1412 à Domrémy, un village de la vallée de la Meuse, en frontière du royaume. Elle n’était point une pauvre bergère mais la fille de paysans aisés. Bien qu’elle n’ait pas fréquenté l’école, elle reçut une éducation soignée au sein de sa famille et de sa paroisse. Les temps étaient durs pour une population très attachée aux Armagnacs (parti d’Orléans) ; la guerre civile contre les Bourguignons s’y cumulait en effet à la guerre franco-anglaise. Vers l’âge de treize ans, l’adolescente entendit des voix et se sentit investie d’une mission ; aller en France pour y faire sacrer Monseigneur le Dauphin et mettre fin ainsi à « la grande pitié du royaume ». Le capitaine de Vaucouleurs, représentant local de Charles VII, finit par se laisser persuader. Les Bourguignons avançaient sur la frontière et la ville d’Orléans bloquée par les Anglais depuis octobre 1428 manquait de tout. Baudricourt envoya la jeune fille au roi avec une escorte. Partie de Vaucouleurs le 23 février 1429 en habit d’homme, elle arriva à Chinon le 4 mars après onze jours d’un voyage éprouvant en terrain ennemi et en plein hiver. Charles VII la reçut. Elle n’était pas en effet la première ni la dernière des prophétesses qui en ces temps de malheur se rendaient auprès du prince porteuses d’un message divin, mais à l’inverse des autres celle-ci voulait réaliser elle-même la mission confiée par l’ange. Le roi les recevait toujours, il les écoutait rarement. Mais Jeanne pouvait compter à la cour sur le soutien du parti armagnac (aller délivrer Orléans et bouter les Anglais hors de France, c’est leur politique) et de la maison d’Anjou. Des théologiens l’examinèrent à Poitiers et conclurent à la pureté de ses mœurs et à la sincérité de sa foi. Le succès devant Orléans serait le signe (ou non) de l’authenticité de sa mission. On la joignit à une armée de secours. Elle fit son entrée à Orléans aux côtés de Dunois, au soir du 29 avril, au milieu d’un enthousiasme indescriptible. En moins d’une semaine, les Anglais vaincus abandonnèrent le siège. La campagne de la Loire acheva de les démoraliser et ils refluèrent en désordre vers la Normandie.

Tout était redevenu possible. Malgré les réticences d’une partie du Conseil qui jugeait l’opération trop risquée, Jeanne obtint la marche sur Reims. Mieux que les juristes qui entouraient le prince et doutaient de la nécessité de l’antique cérémonial, la « Pucelle », née dans les terres de saint Remi qui baptisa et sacra Clovis, avait compris l’efficacité politicoreligieuse du sacre. Les villes s’ouvrirent et le 17 juillet 1429 Monseigneur le Dauphin reçut l’onction de la Sainte Ampoule et devint aux yeux de tous un roi incontestable et élu par Dieu. Au retour, l’armée royale s’empara de Soissons, Laon et Compiègne. Le 8 septembre 1429, Jeanne tenta l’assaut contre Paris. Elle y fut gravement blessée et la capitale, très compromise avec les Anglo-Bourguignons, résista avec énergie à un prince qu’elle avait chassé en 1418 et dont elle craignait la vengeance. L’hiver approchait, l’armée royale revint vers la Loire où elle fut dissoute.

C’était un échec. Jeanne passa l’hiver à ferrailler contre les routiers du Velay. Au printemps 1430, les trêves arrivèrent à expiration et la guerre reprit. Philippe le Bon, duc de Bourgogne, mit le siège devant Compiègne. Jeanne, venue au secours de ses « bons amis », fut capturée devant la muraille le 24 mai. Elle fut remise à Jacques de Luxembourg, comte de Ligny, qui la vendit aux Anglais pour 100 000 écus. L’université de Paris la réclama immédiatement comme hérétique. Cette solution plut à Bedford (1), car elle permettait de déconsidérer Charles VII qui devrait son trône à une sorcière et de se débarrasser de Jeanne sans que les Anglais aient l’air d’être juges et partie. Plus question non plus de rançon que le roi de France aurait pu payer, le procès d’inquisition changeait la donne.

On organisa donc à Rouen, capitale de la Normandie anglaise, un procès qui se voulait exemplaire devant des juges qui étaient tous des universitaires parisiens ou normands et croyaient à l’avenir de la double monarchie. L’accusée, dépourvue d’avocat comme c’est la norme devant l’Inquisition, se défendit avec courage et intelligence. Les juges qui échouèrent à prouver la sorcellerie finirent par trouver deux chefs d’accusation plausibles ; le port de l’habit d’homme qui subvertissait l’ordre sexuel et les voix qui seraient d’origine diabolique. Jeanne accepta les robes ; le 24 mai 1431 au cimetière Saint-Ouen, elle mit une croix au bas d’un formulaire d’abjuration, ce qui la condamnait à la prison perpétuelle. Deux jours après, sur le conseil de ses voix, elle revint sur ses aveux et reprenait ses habits d’homme. Un court procès pour relaps (28-29 mai) la condamnait à l’abandon au bras séculier. Le 30 mai 1431, elle était brûlée sur la place du Vieux-Marché à Rouen. C’était ce que les Anglais voulaient. Elle mourut en prononçant le nom de Jésus.

Dès son entrée à Rouen en novembre 1449, Charles VII chargea l’un de ses conseillers d’enquêter sur la légalité du procès de 1431. Ce n’est toutefois qu’en juin 1455 que le pape Calixte III accepta une demande de révision de la part de la famille de la victime. Plus d’une centaine de témoins furent interrogés en Lorraine, à Orléans, à Paris et à Rouen. La sentence fut annulée en juillet 1456 et la réhabilitation de la Pucelle solennellement proclamée à Paris et à Rouen. Au cours de ce second procès, les avocats de Charles VII réinterprétèrent l’aventure johannique comme une mort sacrificielle acceptée pour le roi et le royaume dans une guerre extérieure. Tous, dirent-ils, font partie de la communauté ; les laïcs comme les clercs, les femmes comme les hommes, les humbles paysans des frontières comme les courtisans, les jeunes comme ceux d’âge mûr. Et en temps de péril, le salut peut venir d’une pauvre bergère venue des marges du royaume. Le mythe johannique, qui circulait dans l’opinion dès le printemps de 1429, recevait ainsi une consécration officielle.

Colette Beaune
professeur émérite à l’université Paris-Ouest Nanterre

* Cf. Célébrations nationales 2006, p. 240.

1. Pour les tenants de la cause anglaise, régent du royaume de France, au nom de son neveu, le tout jeune Henri VI.

Source: Commemorations Collection 2012

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