Page d'histoire : Ouverture du concile Vatican II 11 octobre 1962

Recevant à la fin de l’été 1968 le nouvel archevêque de Paris, le futur cardinal Marty, qui était arrivé au début d’un mois de mai agité, le général de Gaulle avait exprimé cette remarquable intuition : « le concile de Vatican II, l’événement le plus important de ce siècle, car on ne change pas la prière d’un milliard d’hommes sans toucher à l’équilibre de toute la planète. »(1)

Cependant, lorsque le 25 janvier 1959, le pape Jean XXIII annonçait aux cardinaux romains réunis seuls avec lui son intention de convoquer un concile œcuménique, c’est la stupéfaction qui les assaillit d’abord. Il avait été élu trois mois plus tôt. Mais rien dans le parcours diplomatique de trente ans, à Sofia, Ankara et Paris, de ce patriarche de Venise depuis 1953, ne préfigurait une telle « impulsion » (le mot est du pape lui-même). Quant aux souvenirs de sa bonhomie naturelle et très spontanée, entretenus pendant ses huit années parisiennes, ils ne laissaient en rien présager une personnalité sensible à la modernité !

La transition avec son prédécesseur était forte : le pape Pie XII, secrétaire d’État de Pie XI, élu pour sa bonne connaissance de la conjoncture internationale, promoteur d’une encyclique vouée à « la restauration de l’ordre social »(2), quittait en 1959 une Église qui ne répugnait pas aux mesures disciplinaires. Mais jamais un concile ne surgit d’une pensée spirituelle sans raisons. Et dans ce pontificat aux allures rigides, il faut déjà repérer les signes d’une nouvelle ouverture au monde moderne. En témoignent, aux frontières de la puissante Action Catholique, les premières audaces liturgiques en France, la promotion des Églises locales accompagnant la décolonisation (en 20 ans, le nombre des évêques autochtones s’accroît de 65 %), la lettre Fidei donum, en 1957, encourageant les efforts missionnaires et l’échange entre les nations. Force est de constater que si le concile Vatican II affirmerait le droit à la recherche libre de la vérité, il ne s’inscrirait ni en réaction à un catholicisme rigide, ni en rupture avec le catholicisme du XIXe siècle, déjà marqué lui-même par la pensée sociale du pape Léon XIII.

D’emblée, l’ouverture du concile le 11 octobre 1962 – c’est la date dont nous faisons mémoire en cette année 2012, et que les diocèses de France fêteront – manifeste l’intense écho apporté aux souhaits de Jean XXIII : la liturgie accueillait 85 ambassades et d’autres délégations venues de pays sans représentation diplomatique auprès du Saint-Siège. S’y ajoutaient la participation d’observateurs des grandes Églises protestantes, les organismes œcuméniques et en dernière heure l’envoi par le patriarcat de Moscou de deux observateurs. Le patriarcat de Constantinople fut représenté dès la deuxième session.

Peut-on préciser davantage les caractéristiques de ce concile sans citer ici, en claire concomitance avec celui-ci, les deux encycliques magistrales du pape Jean XXIII : Mater et Magistra, le 15 mai 1961 et plus encore Pacem in terris du 11 avril 1963 ? La première, attentive aux situations concrètes du monde économique de l’époque, prépare les esprits à prendre radicalement en compte toutes les conséquences de la dimension universelle du catholicisme, comme l’appel à soulager la misère des pays sous-développés. La seconde, en écho aux projets de la première session, traduit toute une inquiétude anthropologique en lien avec les droits de l’homme et anticipe les débats conciliaires s’agissant notamment du droit fondamental d’une recherche libre de la vérité face « aux énigmes cachées de la condition humaine »(3). « L’aggiornamento » était en marche ! Le pape Paul VI, élu en juin 1963 pour assumer l’héritage encore indécis de ce concile, dira de cet aggiornamento qu’il implique un « rapport entre les valeurs éternelles de la vérité chrétienne et leur insertion dans la réalité dynamique, aujourd’hui extraordinairement changeante, de la vie humaine… ».

Des travaux indissociables de ce concile, d’octobre 1962 à décembre 1965, se dessine une image de cette Église qui n’a pas toujours été bien comprise. Avec recul, le texte prioritaire et de portée historique pour ce concile, c’est la constitution Dei Verbum : « L’écoute religieuse de la Parole de Dieu donne le goût de l’Autre, le goût de Dieu d’abord, par suite le goût de l’autre fait à l’image de Dieu, enfin le goût de l’œuvre divine de la création »(4). Et s’il est vrai que les lendemains du concile mobilisèrent d’abord les pratiquants sur l’expression liturgique, une évolution « copernicienne »(5) orientée sur ce goût des autres, se dissimulait en deux textes conciliaires fondamentaux : Nostra aetate, concernant le dialogue interreligieux, et Dignitatis humanae, sur la liberté religieuse.

Nul doute que ces deux déclarations traduisent et approfondissent le souhait visionnaire de Jean XXIII. Qu’on en juge par les propos qui suivent : « L’Église catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions (non chrétiennes). Elle considère avec un respect sincère ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui, quoiqu’elles diffèrent beaucoup de ce qu’elle-même tient et propose, cependant apportent souvent un rayon de la Vérité qui illumine tous les hommes » (6). Précisons que ce texte ne fait pas exception au milieu d’autres, le thème des autres religions se retrouve dans quatre textes conciliaires conclusifs. Et notamment dans Dignitatis humanae qui conjugue la quête de la vérité avec la revendication de la liberté religieuse : « La vérité doit être cherchée, selon la manière propre à la personne humaine et à sa nature sociale, à savoir par une libre recherche » (7).

Prélude au 27 octobre 1986, la fameuse journée d’Assise, voulue par le pape Jean Paul II, ce rassemblement des religions du monde pour la paix, donnait naissance à « l’esprit d’Assise ». Tels furent et restent les fruits majeurs du deuxième concile du Vatican. Est-ce trop dire de ce concile que de le présenter comme prophétique ! Jean-Paul II disait, et Benoît XVI confirme qu’il est la « boussole » pour notre temps. Loin d’avoir suscité un désordre, il introduisait les moyens de comprendre et d’intégrer dans une vision tout à la fois traditionnelle et rénovée les immenses mutations qui se profilaient dans le monde qui est le nôtre désormais.

 

Laurent Ulrich
archevêque de Lille vice-président de la Conférence des évêques de France

 

1. Propos attesté par les souvenirs personnels de Mgr Georges Gilson, archevêque émérite de Sens-Auxerre, et qui était alors le secrétaire particulier de l’archevêque de Paris.
2. Quadragesimo anno.
3. Déclaration Nostra aetate du 28 octobre 1965.
4. Conférence de Carême à N.-D. de Paris le 28 mars 2010, de Mgr Jean-Louis Bruguès, Vatican II devant nous, le Concile de l’écoute de l’autre.
5. Le mot est aussi de Mgr J.-L. Bruguès, secrétaire de la Congrégation pour l’Éducation Catholique à Rome.
 6. Nostra aetate 2.

Source: Commemorations Collection 2012

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