Page d'histoire : Romain Gary Vilnius (Lituanie), 15 mai 1914 - Paris, 2 décembre 1980

Né le 15 mai 1914 au cœur du quartier juif de Wilno, la Jérusalem de Lituanie, d’une mère modiste et d’un père négociant en pelleteries, Romain Gary n’aura de cesse d’écrire et de récrire son roman familial, source principale de son œuvre. Arieh-Leib Kacew, son père, est mobilisé dans l’armée du tsar, avant sa naissance, tandis que sa mère, Mina Owczynska, est expulsée par les Russes vers les profondeurs de l’Empire avec les juifs de la ville, accusés de collaboration avec les Allemands. Le petit Roman et Mina ne sont autorisés à rentrer à Wilno qu’en 1921, alors qu’Arieh, sans nouvelles d’eux depuis plusieurs années, s’est uni à une jeune femme dont il a eu un fils et une fille.

Gary ne pardonnera pas à Arieh-Leib de l’avoir quasiment abandonné et se créera de nombreux pères imaginaires, dont le plus célèbre est l’acteur du cinéma muet, Ivan Mosjoukine. Il a délibérément délivré des indications fausses tant sur le lieu et l’année de sa naissance que sur ses parents. Il a affirmé être d’ascendance russe, polonaise ou tartare, car sa judéité, dans l’Europe du génocide des Juifs, lui a posé des problèmes sur lesquels il a discouru tantôt sur le mode de l’humour noir, tantôt avec une grandeur tragique, tout au long de son œuvre.

Sa mère qui l’élèvera seule à Wilno, Varsovie et enfin à Nice à partir de 1929, attend tout de lui : réussite sociale et réalisation d’ambitions artistiques seulement rêvées, comme l’écrit Gary dans son chef-d’œuvre La Promesse de l’aube, paru en 1960. « Aujourd’hui que la chute est vraiment accomplie, je sais que le talent de ma mère m’a longtemps poussé à aborder la vie comme un matériau artistique et que je me suis brisé à vouloir l’ordonner autour d’un être aimé selon quelque règle d’or. »

Toute l’œuvre de Gary, polysémique, peut également se lire comme l’histoire d’une stratégie de survie élaborée dans un monde extrêmement hostile. « Juif ! Elle l’a écrit noir sur blanc ! Religion : juive. Est-ce qu’elle ne savait pas ce qu’elle faisait ? », écrit-il à propos de sa mère. Il accomplira cependant ses vœux en devenant un héros, capitaine de réserve dans les Forces aériennes françaises libres, Compagnon de la Libération, commandeur de la Légion d’honneur, diplomate, cinéaste, homme aimé des femmes, notamment marié à Jean Seberg (décédée en 1979), et surtout écrivain à la fois adulé et  sous-estimé, qui accomplira l’exploit unique dans l’histoire littéraire française d’être deux fois couronné par le prix Goncourt sous deux pseudonymes différents : Romain Gary pour Les Racines du ciel en 1956, et Émile Ajar pour La Vie devant soi en 1975. Il est entré dans la défroque d’au moins deux autres écrivains imaginaires : Fosco Sinibaldi et Shatan Bogat.

Son premier roman Éducation européenne, d’abord publié en anglais en 1944 sous le titre Forest of anger à Londres, avait reçu un accueil chaleureux en 1945 et lui avait valu le prix des Critiques, mais il ambitionnait beaucoup plus. Les quatre romans écrits sous le pseudonyme d’Émile Ajar entre 1974 et 1979, tandis qu’il continuait à publier sous le nom de Gary, électrisèrent la critique et les lecteurs jusqu’au soir de son suicide, le 2 décembre 1980. Avant de se tirer une balle dans la bouche à son domicile, il écrivit : « Je me suis enfin exprimé entièrement » et aussi dans son testament littéraire Vie et mort d’Émile Ajar : « Je me suis bien amusé. Au revoir et merci. » Après une cérémonie dans la cour des Invalides, ses cendres furent dispersées au pied du vieux village de Roquebrune par son fils Diego Gary, né de son union avec Jean Seberg.

Myriam Anissimov
écrivain, biographe

Source: Commemorations Collection 2014

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