Page d'histoire : Avènement de la Première Restauration avril 1814

Louis XVIII préside l'ouverture de la session des Chambres, le 4 juin 1814
Huile sur toile d'Auguste Vinchon, 1841 - Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon
© RMN - Grand Palais (Château de Versailles) / image RMN

En ces derniers jours de mars, les Parisiens étaient pétris d’angoisse à entendre les canons tonner de plus en plus près. L’armée de Napoléon se battait avec courage contre l’Europe coalisée qui, à force de pousser contre les murs du Grand Empire, était maintenant aux portes de sa capitale. L’impératrice et son fils quittèrent Paris le 29 mars, et Joseph Bonaparte, le lendemain. Les combats étaient tout proches, les soldats blessés et les habitants de la banlieue refluaient dans les faubourgs. On se préparait pour des combats de rues, mais on implorait la paix.

Soudain, le 31 mars au matin, on apprit qu’un armistice avait été conclu et que la capitale était sauve. La ville retint son souffle. Aucun Parisien alors ne pensa à reprocher au maréchal Marmont cette capitulation. Des armées et des rois étrangers entrèrent : Autrichiens, Anglais, Prussiens, et Russes, pour y prendre leurs quartiers. À partir du 1er avril, des nouvelles incroyables tombèrent chaque jour : l’empereur avait été déchu par ses sénateurs, puis il abdiqua, Talleyrand dirigeait un gouvernement provisoire et la famille des Bourbons allait revenir sur le trône, la France resterait souveraine, à peu près dans ses frontières de 1792.

Peu après, le comte d’Artois, le plus jeune frère de Louis XVI, fit son entrée, salué d’une foule en liesse qui laissait s’exprimer une joie à la mesure de l’angoisse qui l’avait précédée. Cette journée du 12 avril 1814 – il peut paraître malséant de le rappeler aujourd’hui – fut l’une des plus joyeuses de l’histoire de Paris, si l’on en croit les témoignages divers, bien plus que ne le fut, le 3 mai, l’entrée de Louis XVIII, accueilli pourtant dignement et avec bienveillance, voire avec l’enthousiasme des plus royalistes. « La paix ! La paix ! » criait-on, chantait-on, mêlé aux « Vive le roi ! », à Paris, et dans la plupart des villes de province après 22 ans de guerre.

La France, ni Paris, n’avaient connu de troupes étrangères depuis qu’Henri IV, le premier Bourbon, avait chassé les Espagnols venus soutenir la Ligue et qu’il avait réuni un royaume divisé. Tel était aussi le programme annoncé par les derniers Bourbons : pacifier les frontières, réconcilier à l’intérieur, redresser le royaume envahi, profondément divisé, à l’économie en panne et menacé de réparations exorbitantes à payer. Il s’agissait de renouveler l’œuvre du « bon roi Henri », figure tutélaire du régime, en quelques semaines honoré à satiété.

Dans les mois qui suivirent, le gouvernement, subtilement composé de dignitaires de l’Empire et de personnalités royalistes, prit des mesures de mitigation en toutes circonstances. Aux familles décimées par la Terreur et émigrées on accorda des cérémonies expiatoires pour faire le deuil de leurs morts, mais on leur refusa de rentrer dans leurs biens nationalisés et entre-temps revendus. On s’interdit d’épurer l’administration, d’ailleurs pour partie déjà occupée par des fonctionnaires secrètement royalistes, hormis les quelques régicides qui furent priés de s’exiler. Face à la masse des soldats et des fonctionnaires français du Grand Empire, réduits au désœuvrement, il fut décidé d’accorder une demi-solde plutôt qu’un licenciement sec. Il en fut de même pour les soldats royalistes qui s’étaient engagés dans les armées européennes, et les militaires de carrière qui avaient été contraints d’émigrer. On rapprocha l’ordre de la Légion d’honneur des ordres royaux du Saint-Esprit et de Saint-Michel et on décida de poursuivre le pharaonique Arc de Triomphe en modifiant son programme iconographique.

Comme après toutes demi-mesures, des mécontentements se firent jour, d’autant que la presse et les opinions étaient à nouveau libres de s’exprimer, ce qui ne s’était quasiment pas vu depuis les débuts de la Révolution. La liberté de penser et d’écrire (art. 8), la liberté de célébrer son culte également (art. 5), furent inscrits dans la Charte qui s’employa à couler dans des formes traditionnelles des principes de modernité où l’autorité du roi devait garantir la liberté des citoyens.

Libres également, quoique basées sur la capacité contributive, furent les élections pour installer le premier régime parlementaire durable que connut la France, avec un bicamérisme et des règles de fonctionnement internes aux assemblées qui sont en partie restées, ainsi que la notion politique de Gauche et de Droite. Enfin, de grandes manœuvres diplomatiques furent entamées, à Vienne, pour écourter l’occupation étrangère et finalement éviter le poids des réparations de guerre.

Mais en débarquant près de Fréjus, un matin de mars 1815, Napoléon somma tout Français de choisir entre le roi et l’empereur. Bien que son retour fût de courte durée – qu’est-ce que cent jours ? – le projet de réconciliation nationale, et le trône des Bourbons, en reçurent une fissure indélébile, dont se ressentit toute la Seconde Restauration.

Jean-Baptiste Auzel
archiviste paléographe
conservateur en chef du patrimoine

Source: Commemorations Collection 2014

Liens