Page d'histoire : Bataille d'Azincourt 25 octobre 1415

Bataille d’Azincourt, détail de la Chronique d’Enguerran de Monstrelet,
vers 1470-1480, coll. Louis de Bruges ; librairie de Blois –
Maître de la Chronique d’Angleterre, Paris, Bibliothèque nationale de France.
© BnF, Dist. RMN-Grand Palais / image BnF

La bataille d’Azincourt marque l’apogée des succès anglais pendant la guerre de Cent Ans et l’un des plus terribles désastres militaires français dans cet interminable conflit qui a commencé en 1337 et qui a déjà été marqué par les défaites de Crécy (1346) et de Poitiers (1356).

En août 1415, le jeune roi d’Angleterre Henri V de Lancastre a débarqué dans l’estuaire de la Seine avec une armée de 10 000 hommes, dont 6 000 archers. Son but est de porter le coup de grâce à la dynastie des Capétiens et de s’emparer de la couronne de France que les souverains anglais estiment leur revenir de droit. Le moment est bien choisi : le roi de France, Charles VI, est fou, et le royaume en pleine anarchie, divisé entre les partisans du duc d’Orléans, les Armagnac, et les Bourguignons de Jean sans Peur.

Pourtant, l’affaire commence mal pour Henri V, qui met plus d’un mois pour s’emparer d’Harfleur. Son armée, décimée par la dysenterie, réduite à 7 000 hommes, doit alors opérer une retraite précipitée vers Calais, port anglais, pour rembarquer vers l’Angleterre. Car des forces françaises considérables se sont rassemblées et tentent de lui barrer la route. Elles sont dirigées par des princes divisés sur la tactique à adopter : les « anciens » – le duc de Berry, soixante-quinze ans, le maréchal de Boucicaut, le connétable Charles d’Albret – sont portés à la prudence par les souvenirs de Crécy et de Poitiers, et voudraient qu’on laisse les Anglais rembarquer ; les « jeunes » – Charles d’Orléans, vingt-quatre ans, Jean d’Alençon, trente ans, Jean de Bourbon, trente-trois ans – rêvent au contraire d’en découdre et se disent certains de battre les Anglais, qui sont trois fois moins nombreux, et qui sont malades, affamés, démoralisés et épuisés par leur longue marche vers le nord.

L’avis des jeunes l’emporte : on va se lancer à la poursuite des Anglais, qui sont retardés par la traversée de la Somme, les déborder par la droite et, le 24 octobre, leur bloquer la route dans la plaine picarde entre les villages d’Azincourt et de Tramecourt. Les anciens se résignent à la bataille ; ils ont au moins obtenu une chose : le roi Charles VI et le dauphin Charles sont restés à Rouen, car le duc de Berry, un vétéran de Poitiers, où le roi Jean le Bon avait été fait prisonnier, disait que « mieux valait perdre bataille seule que roi et bataille ».

Le choix du lieu d’affrontement par les Français est aberrant : un espace découvert d’à peine 800 mètres de large entre deux bois, ce qui les prive de leur énorme avantage numérique : entassés dans ce site étroit, ils ne peuvent intervenir que par vagues successives, sont gênés dans leurs mouvements et ne peuvent utiliser correctement leur lance. Ils sont disposés en trois corps de bataille : à l’avant, les plus grands nobles, qui veulent être les premiers au combat, tant ils sont certains de l’emporter et de se couvrir de gloire ; derrière, une deuxième vague de chevaliers, pressés sur une trentaine de rangs ; enfin, une réserve de quelques centaines d’écuyers sert d’arrièregarde et ne pourra même pas intervenir. Tous sont à pied. La cavalerie est sur les ailes et elle aura pour tâche de disperser les archers anglais, particulièrement redoutés, au début de la bataille. En face, Henri V a disposé ses maigres troupes de façon traditionnelle : un mince rideau d’hommes d’armes à pied au centre, et sur les ailes, un peu décalés vers l’avant et en oblique, les archers, retranchés derrière des pieux taillés en pointe.

Le 25 octobre, vers 10 heures du matin, la cavalerie française charge. Elle avance péniblement car la pluie a transformé le terrain en un champ de boue ; des milliers de flèches s’abattent alors sur elle, tuant, blessant et affolant les lourds chevaux, qui tombent, entraînant leurs cavaliers et formant un enchevêtrement de morts et de blessés dans lequel viennent s’empêtrer les rangs suivants. Au centre, le premier corps de bataille, celui des grands seigneurs français, avance pour le corps-à-corps ; la ligne anglaise fléchit d’abord sous le nombre, mais rapidement les archers enveloppent les hommes d’armes sur les ailes, tirent sur les flancs, abattent des centaines de combattants, achevés au couteau et à la hache. Beaucoup se rendent à rançon, mais leur nombre est si important que le roi d’Angleterre, qui craint l’arrivée de renforts français, estime dangereux de s’encombrer de tous ces prisonniers en pleine bataille. Il ordonne leur mise à mort, sauf pour les très .grands seigneurs, qui sont des prises très lucratives. Constatant cette hécatombe du premier corps de bataille et la perte de tous les chefs, le reste de l’armée française est pris de panique et se disperse.

Le bilan humain est terrible : alors que les Anglais n’ont perdu qu’environ 300 hommes d’armes, 1 500 chevaliers et 5 000 hommes d’armes français ont péri en une heure de combat, dont beaucoup de nobles importants. Des dizaines de prisonniers prestigieux sont emmenés en Angleterre, et devront s’acquitter d’énormes rançons. Certains y resteront dix-sept ans (le duc de Bourbon), vingt-trois ans (le comte d’Eu), et même vingt-cinq ans (Charles d’Orléans, qui occupera son temps à écrire de belles poésies).

Les conséquences d’Azincourt sont catastrophiques : la grande noblesse française est décimée ; des familles sont ruinées ; le royaume est ouvert à l’invasion anglaise, et cinq ans plus tard, par le traité de Troyes, le roi d’Angleterre parvient à ses fins : par le texte de 1420, il est proclamé roi de France et il épouse Catherine, la fille de son adversaire Charles VI, dont le fils, le dauphin Charles, est déchu de ses droits à la Couronne. Il est cependant prévu que le Capétien gardera son titre de roi de France jusqu’à sa mort, qui devrait normalement se produire avant celle du Lancastre, qui a vingt ans de moins que lui. La maladie en décidera autrement, mais pour l’Angleterre, Azincourt reste un triomphe marquant de l’épopée nationale. Deux siècles plus tard, William Shakespeare, dans des vers fameux de son drame historique Henri V, célébrera cette victoire « d’un heureux petit nombre, d’une bande de frères », remportée le jour de la saint Crépin et saint Crépinien.

 

Georges Minois
historien

Source: Commemorations Collection 2015

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