Page d'histoire : Jean Lurçat Bruyères (Vosges), 1er juillet 1892 - Saint-Paul-de-Vence (Alpes-Maritimes), 6 janvier 1966

Reconnu mondialement pour sa rénovation et sa promotion de la tapisserie, le peintre Jean Lurçat est trop souvent occulté par la célébrité du maître lissier, immortalisé par Le Chant du monde acquis par la Ville d’Angers en 1966 et installé dans l’ancien hospice médiéval Saint-Jean, rebaptisé l’année suivante musée Jean-Lurçat et de la Tapisserie contemporaine. Une grande cohérence s’impose dans cet oeuvre riche et diversifié où il pratique la céramique, le vitrail, le bijou, compose des décors et des costumes pour le théâtre. D’évidence, il est un des grands promoteurs du renouveau des arts décoratifs au XXe siècle.

Formé dans l’atelier de Victor Prouvé à Nancy, il arrive à Paris en 1912, s’inscrit aux Beaux-Arts, puis rejoint l’académie Colarossi. Ses débuts sont interrompus par la guerre et, bien qu’exempté pour raisons de santé, il s’engage en 1914 dans l’infanterie. Blessé en 1917, il fait réaliser ses premières tapisseries avec des restes de laine utilisés par sa mère lors d’un congé de convalescence. Démobilisé en 1919, il séjourne en Suisse où il rencontre Jeanne Bucher qui l’exposera à Paris à partir de 1925. Période expérimentale pour celui qui assimile les leçons plastiques du cubisme et le surréalisme qu’il transgresse au profit d’une peinture onirique. Il peint des paysages désertiques, des grèves avec des pans de murs découpés par une lumière crue, des aérolites menaçants qui s’apprêtent à faire voler le vieux monde en éclats. Ces ruines mythiques et imaginaires, nées en partie de ses souvenirs de voyage en Afrique du Nord, en Espagne, en Asie Mineure, en Grèce, prophétisent la menace de la guerre civile qui le bouleverse. Ses portraits inspirés par la femme orientale et une série de grandes figures hiératiques se dressent dans un espace abstrait empreint d’un lourd pressentiment.

Le peintre est parvenu à la pleine reconnaissance de son art avec des expositions personnelles à Paris, aux États-Unis, à Londres, à Berlin. Cependant un cycle s’achève. En 1939, Jean Lurçat arrête de peindre à l’huile au profit de la gouache. Avec la tapisserie qui retient toute sa passion, il retrouve le sens de la beauté artisanale pour une expression universelle.

L’année de sa première tapisserie tissée en 1936 à la manufacture nationale des Gobelins, il rencontre le lissier François Tabard. Installé à Aubusson pendant l’Occupation, il prend conscience de l’autonomie de la tapisserie et des valeurs sociales inhérentes à cet art monumental issu de la grande tradition régénérée par une inspiration et une facture modernes. Il met au point le carton numéroté et opte pour une palette réduite. Parallèlement, il s’engage dans la clandestinité dans le Lot où il participe aux combats de la résistance communiste avec Jean Cassou, André Chamson, René Huyghe. En 1947, sous l’impulsion de Denise Majorel qui inaugure en 1950 la galerie La Demeure, consacrée à la tapisserie contemporaine, il fonde l’Association des peintres-cartonniers de tapisserie. La même année il acquiert les Tours-Saint-Laurent à Saint-Céré, devenu atelier-musée Jean-Lurçat, à la suite de la donation faite en 1986 par Simone Lurçat, et inauguré en 1988.

En 1937, il découvre la tenture de l’Apocalypse d’Angers. Dix ans après naît la genèse du Chant du monde tissé à Aubusson, constitué de neuf tapisseries d’une surface de 500 mètres carrés, laissé inachevé à sa mort. À partir de 1986, les deux oeuvres ont engagé un dialogue sous les auspices de la cité d’Angers. Son oeuvre tissé a imposé la tapisserie comme le principal événement de l’art contemporain après la Seconde Guerre mondiale. Un millier de tapisseries ressuscite une vaste cosmogonie réalisée en laine, où le soleil du mythe apollinien éclaire le nouveau monde. Le génie de Lurçat engendre des merveilles foisonnantes, une imagerie d’une inventivité qui renouvelle le bestiaire médiéval au sein d’une nature édénique. Soleil, fruits, Minotaure et coq, oiseaux et taillis de ronces, faune zodiacale traversent les voies lactées, illuminent ces murs de laine dont les marges abritent des poèmes de feu. En 1981 est inauguré le Centre culturel et artistique Jean-Lurçat à Aubusson.

Ses voyages, ses nombreuses expositions ont contribué à une grande diffusion de l’art français.

En 1964, Jean Lurçat est élu membre de l’Académie des beaux-arts. À son décès en 2009, Simone Lurçat lègue à l’Institut de France la maison-atelier construite par l’architecte André Lurçat, frère de l’artiste, villa Seurat à Paris, avec les collections et le fonds d’archives.

En 2016, une rétrospective a lieu à la manufacture nationale des Gobelins à Paris pour célébrer le cinquantième anniversaire du décès de l’artiste.

Lydia Harambourg
historienne et critique d’art
membre correspondant de l’Académie des beaux-arts

Source: Commemorations Collection 2016

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