Page d'histoire : Carolus-Duran Lille (Nord), 4 juillet 1837 – Paris, 18 février 1917

Au bord de la mer, Mlle Croizette, huile sur toile de Carolus-Duran, 1873, Tourcoing, MUba Eugène Leroy.

 

En 1917, ce sont deux figures emblématiques de la peinture moderne qui s’éteignent : Edgar Degas et Carolus-Duran, deux anciens camarades séparés depuis longtemps par des choix de carrière radicalement opposés. Charles Auguste Émile Durand alias Carolus-Duran naît à Lille dans une famille très modeste et, venu étudier la peinture à Paris, il doit par tous les moyens trouver des subsides pour pourvoir à ses besoins. C’est la première chose qui le différencie de l’ami d’une vie, Édouard Manet, issu lui de la grande bourgeoisie parisienne : à Carolus-Duran, l’indépendance n’est pas permise. Il doit d’abord compter avec une bourse de son département natal (1859-­1861), puis concourir au prix Wicar décerné par la ville de Lille (espèce de grand prix de Rome de province) et, remportant l’épreuve début 1862, il se voit transporté à Rome pour quatre ans (1862-­1865) à étudier les maîtres italiens quand son inclination irait plutôt à Courbet. Ainsi, bien que lié au cercle de Degas, Fantin-­Latour et Manet, Carolus-­Duran n’est plus à Paris au moment fondateur de la naissance de la peinture moderne (1863). L’histoire s’est en partie écrite sans lui. À peine rentré de la Ville éternelle, Carolus-­Duran se met sur les traces de Manet et part étudier Velázquez en Espagne (1866-­1867). Cependant, ce commerce avec l’art espagnol n’est pas pour Carolus-­Duran une invite à réinventer la peinture, à repartir de zéro comme Manet s’y attelle alors, mais le conduit plutôt à refaire comme Velázquez, à renouveler, grâce à une tradition autre, les codes de la peinture française. Cette voie du « réformisme » plutôt que de la rupture lui évite tout refus de la part du jury du Salon, contrairement à Manet, et, très vite, il rencontre le succès. Dès 1869, sa Dame au gant est unanimement saluée comme un chef­-d’œuvre : le proto­type de la peinture moderne au sens d’une peinture adaptée au goût du public de son temps. Ce succès ne se démentira plus, Carolus-­Duran sera « le » portraitiste de son temps, accumulant tous les honneurs, y compris l’élec­tion à l’Académie des beaux-­arts (1904) et la direction de la Villa Médicis (1904-­1913). « Caracolus-­Duran » serait-­il ce traître que méprisait Degas ? Ce serait faire peu de cas du soutien sans faille qu’il apporta à Manet jusqu’à sa mort en 1883, parvenant à le faire accepter au Salon et lui obtenant même d’être mis hors concours, c’est-­à­-dire de ne plus avoir à soumettre ses envois au jury dudit Salon. Surtout, au-­delà des questions de sentiments et de fidélité en amitié, Carolus-­Duran a été le protagoniste essentiel de l’ouverture du monde officiel au réel et à la « peinture­peinture », celle où la touche n’est définitivement plus un abus de l’exécution.

Pierre Sérié
maître de conférences en histoire de l’art

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Source: Commemorations Collection 2017

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