Page d'histoire : Jean-Pierre Melville Paris, 20 octobre 1917 – Paris, 2 août 1973

Le plus américain des cinéastes français est en même temps l’auteur d’une oeuvre éminemment française, profondément ancrée dans l’histoire et dans la sociologie du pays. Né Jean-Pierre Grumbach dans une famille alsacienne juive, Jean-Pierre Melville est un enfant de Paris, où il grandit et où il mourra, à cinquante-cinq ans, d’une attaque cérébrale. Son départ pour la guerre retarde sa carrière de cinéaste. Démobilisé, il rejoint la Résistance et, en 1943, part pour Londres, avant de combattre en Italie et de débarquer en Provence. C’est alors qu’il prend le pseudonyme de Melville, en hommage à l’auteur de Moby Dick. La guerre est au coeur de ses débuts de cinéaste, puisque c’est en 1949 que sortira son adaptation du Silence de la mer, le célèbre roman de Vercors. Tourné dans le plus grand dénuement, en décors naturels et parfois à la sauvette (les plans où l’officier allemand se promène en uniforme), le film sera salué plus tard comme un précurseur du cinéma de Bresson et de la Nouvelle Vague. Après l’avoir vu, Cocteau propose à Melville de réaliser Les Enfants terribles (1950), somptueuse adaptation de son huis clos incestueux. Après un mélodrame échevelé, Quand tu liras cette lettre (1953), Melville aborde enfin le genre qui fera sa gloire, le film noir, avec Bob le flambeur (1955). Dans cette description précise du « milieu » parisien se révèle sa fascination du cinéma américain, mais, à la nervosité de ses modèles, Melville préférera souvent une forme de solennité qui lui semble plus apte à traduire la dimension tragique du destin de ses personnages, dont la roideur se heurte à une réalité mouvante, rendue fluctuante par l’ambiguïté, la trahison, le mensonge. Il inaugure pour l’occasion son propre studio, le studio Jenner, dans le XIIIe arrondissement, qui sera détruit par un incendie en 1967. Deux Hommes dans Manhattan (1959) est l’occasion d’un hommage plus direct au cinéma américain, avant qu’avec Léon Morin prêtre, avec Jean-Paul Belmondo, Melville ne donne un magnifique portrait d’un jeune prêtre en butte aux incertitudes du monde moderne. Puis vient l’ère des grands films noirs : Le Doulos (1962), L’Aîné des Ferchaux (1963), tous deux avec Belmondo, Le Deuxième souffle (1966), Le Samouraï (1967), Le Cercle rouge (1970), Un flic (1972), ces trois derniers avec Delon. Éloge du courage et de l’honneur, sens de la camaraderie virile, fatalisme, tragique de la condition humaine et de sa solitude ontologique s’y expriment dans un style sobre et épuré, qui tend au hiératisme et à l’abstraction. Ce penchant pour la solennité aura aussi superbement trouvé à s’exprimer dans L’Armée des ombres (1969), magnifique hommage aux héros anonymes, qui est sans aucun doute le plus beau film sur la Résistance et le point d’orgue d’une oeuvre courte mais éminemment singulière.

Laurent Dandrieu
journaliste et écrivain

Source: Commemorations Collection 2017

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