Page d'histoire : Marie Noël Auxerre (Yonne), 16 février 1883 – Auxerre, 23 décembre 1967

Marie Noël*, grand poète du XXe siècle, admirée par Bernanos, Aragon, Montherlant, Colette, suscita une même ferveur parmi les agnostiques, les croyants, les incroyants, tous partageant dans une rare unanimité chaleureuse ce cri noëlien : « rien n’est vrai que d’aimer ». À l’âge de vingt et un ans, deux épreuves marquent irrémédiablement sa vie et son oeuvre : la mort subite de son petit frère et l’éloignement définitif du jeune homme qu’elle aimait.

Peu d’êtres humains ont autant aimé que Marie Noël, qualifiée de « plus grand poète de l’amour » : amour des plus pauvres, des exclus, immense compassion pour les malades agonisants, pour les blessés de la guerre de 1914-­1918, communion d’amour avec Jésus, « source sans fond de la douceur humaine ».

Dans l’œuvre noëlienne, Notes intimes, livre inclassable, témoigne d’un déchi­rement existentiel extrême. Chef­-d’œuvre de la littérature européenne, il eut un retentissement mondial jusqu’en Amérique.

Hantée par le vertige du gouffre comme Baudelaire ou Henri Michaux, Marie Noël s’interroge : « De quel côté tomberai-­je ? Dans le noir d’en­-bas qui m’attire ? Dans la lumière d’en-­haut qui m’aspire et dont le gouffre est aussi profond que celui des ténèbres ? Dans le fond de la terre ? Dans le fond du Ciel ? »

Notes intimes nous bouleverse par l’irrépressible amour de la liberté de Marie Noël, « sauver la désobéissance », par son attachement passionné à l’égale dignité humaine, « toute âme est mon égale », par son ardente fraternité avec les plus pauvres, avec les simples, « l’humilité qui reconquerra la terre ». Marie Noël, modèle d’indépendance d’esprit, est une femme libre et engagée. Elle obtient en 1962 le grand prix de poésie de l’Académie française.

Tourmentée par le problème du Mal, hurlant contre la mort dans un poème violent, insoutenable, « Hurlement », ravagée de douleur, Marie Noël l’intran­quille a esquissé une réponse à son inquiétude métaphysique, « la liberté dans la prière sans limite [...] Le Silence sait tout, le Silence dit tout. »

C’est peut-­être cela, malgré la souffrance de déréliction, la joie cartusienne aux racines de l’espérance noëlienne.

Par sa recherche inquiète du sens de la vie, par son irréductible conscience de l’altérité, par son « très haut désir de justice », Marie Noël nous a légué en partage un secret : « le remède d’aimer est d’aimer davantage ».

* De son vrai nom Marie Rouget.

Jean-Michel Anciaux
diplômé de la faculté des lettres de Lyon

Source: Commemorations Collection 2017

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