Document d'archives : Entretien de Stéphane Pallez, présidente directrice générale de la Française des jeux.

Contenu :

  • Présentation du témoin (00:00:00 - 00:03:20). Stéphane PALLEZ est présidente-directrice générale de la Française des Jeux. Elle a été nommée en novembre 2014 par l'Etat et a été renouvelée à ce poste en octobre 2019. Elle a fait ses études à Sciences Po et l'ENA, et a passé la première partie de sa carrière dans l'administration, à la direction du Trésor au Ministère des Finances, où elle a accumulé beaucoup d'expérience et géré des crises (financières, dans des entreprises publiques, internationales). Elle a passé 20 ans au Ministère des Finances, et ensuite a commencé une carrière en entreprise en 2004, chez Orange où elle est restée 7 ans dans une fonction financière. Puis elle a été la présidente-directrice générale de la Caisse Centrale de Réassurance, le réassureur des catastrophes naturelles en France. Elle est arrivée ensuite à la Française des Jeux. Elle dirige l'entreprise dans une fonction exécutive et est aussi présidente du conseil d'administration, dans un rôle de responsabilité dans la gouvernance de l'entreprise vis-à-vis de ses actionnaires, qui sont aujourd'hui l'Etat, les actionnaires historiques que sont les anciens combattants, mais aussi le marché, puisque l'entreprise a été privatisée en novembre 2019. Elle est cotée à la Bourse de Paris.
  • Prise de conscience de la gravité de la situation pour l'économie et l'entreprise (00:03:20 - 00:05:39). Stéphane PALLEZ et son équipe ont pris conscience de la gravité de la situation sanitaire vers la fin février ou début mars 2020, peu de temps avant que le gouvernement ne décide de prendre des mesures de confinement, le 11 mars. Ils ont découvert l'ampleur de l'épidémie, le fait qu'elle était en train de monter très vite, et pris conscience de quelque chose de grave, mais sans avoir encore aucune notion ni de la gravité sur le plan épidémiologique, ni des conséquences économiques, directes ou indirectes, dans le fait qu'une grande partie de l'humanité a arrêté son économie pour protéger la vie des personnes. Pour Stéphane PALLEZ, personne ne l'avait anticipé, ni le fait que la crise allait avoir lieu de manière aussi globale, ni sa durée, ni ses conséquences économiques. Selon elle, cette situation d'incertitude n'est pas terminée au moment de l'entretien.
  • Réactions à chaud, en tant que personne et en tant que dirigeant (00:05:39 - 00:12:23). La réaction immédiate de Stéphane PALLEZ a été de se demander comment elle pouvait protéger son entreprise, c'est-à-dire d'abord protéger les salariés, et adapter la gestion et l'activité de l'entreprise à cette situation inédite. Elle s'est demandé ce qui pouvait être fait pour s'y préparer en peu de temps. L'entreprise s'était déjà entraînée à gérer des crises, ce qui a été utile. Le fait d'avoir des procédures de gestion de crise est très aidant dans ce genre de situation, pour se mettre en cellule de crise, savoir communiquer de manière rapide et fluide, se sentir responsable d'un certain nombre de points critiques. Le 2e point capital pour Stéphane PALLEZ est le fait que l'entreprise a depuis son arrivée énormément investi dans la transformation digitale, dans sa relation avec ses distributeurs et clients, mais aussi dans ses modes de travail. Il a été fait un effort particulier pour pouvoir autoriser l'ensemble des salariés à avoir accès à un certain nombre de données et systèmes, inaccessibles à distance en temps normal, à être équipé d'ordinateurs et téléphones mobiles. 97% des salariés ont pu être mis en télétravail dans de bonnes conditions de sécurité informatique. Le 3e point critique pour Stéphane PALLEZ a été la qualité des relations et du dialogue social au sein de l'entreprise. L'exemple le plus frappant pour elle est qu'avant cette crise, l'entreprise avait négocié un accord sur le télétravail dans lequel il était prévu que tout salarié avait droit à deux jours de télétravail par semaine. L'entreprise était en avance de phase de ce point de vue, et est souvent en avance sur la loi et les conventions collectives applicables. La communication interne a également été importante, car plus il y a d'incertitude et plus il faut communiquer et être transparent. Le fait que l'entreprise a continué à fonctionner est très fort, même si une partie de son activité a baissé, voire a disparu. Elle a continué à fonctionner comme un collectif, et aucun salarié n'a été mis en chômage partiel. Certains salariés qui n'avaient plus d'activité ont aidé ceux qui avaient beaucoup de travail. Stéphane PALLEZ a parlé à beaucoup de managers tous les jours pendant cette période. Le secrétaire du comité d'entreprise lui a d'ailleurs dit qu'ils n'avaient jamais été aussi bien informés.
  • Les conséquences immédiates du confinement pour l'entreprise, le témoin, les collaborateurs (00:12:23 - 00:16:57). La première conséquence du confinement a été le passage en télétravail à 100% pour tous ceux qui pouvaient l'être. Stéphane PALLEZ est restée chez elle, même si elle avait l'autorisation de revenir au bureau. Quelques personnes ne pouvaient pas être en télétravail  dans l'entreprise : celles qui travaillaient dans l'entrepôt ont été organisées en deux équipes, avec distanciation et protection ; quelques personnes travaillant sur des sujets de sécurité informatique ; d'autres qui assuraient le tirage du loto. Tous ont beaucoup travaillé, pour gérer une activité à la fois différente et diminuée, avec des changements constants dans les règles, dans l'environnement, des problèmes inédits. Une partie de l'activité a pu être conservée car le réseau de détaillants avait le droit de rester ouvert, ayant une activité essentielle au titre de la vente du tabac et de la presse. 80% du réseau est resté ouvert, avec un trafic plus faible et une perte de chiffre d'affaires. L'activité de paris sportifs s'est presque interrompue puisqu'il n'y avait plus d'événements sportifs pendant cette période. L'activité était particulière avec des contraintes de protection de la santé des salariés, des détaillants, des clients. L'entreprise a beaucoup travaillé sur la manière donc elle pouvait adapter l'activité à ces conditions spécifiques et aider les détaillants à adapter leur commerce à la situation sanitaire. L'entreprise les a fourni en masques, et a arrêté un de ses jeux, qui était un jeu de stationnement, pour qu'il n'y ait pas de problème de gestion d'attroupement. Elle a aussi géré la trésorerie de ses détaillants de manière à ne pas augmenter leurs difficultés : elle a arrêté certains prélèvements. L'activité a été réduite en matière de chiffre d'affaires, mais sa gestion a été très intense pour être sans arrêt en adaptation par rapport au contexte.
  • Les décisions les plus fortes prises en tant que dirigeant (00:16:57 - 00:24:18). La première décision de Stéphane PALLEZ a été la protection de la santé (de soi-même, des salariés, des partenaires, de la collectivité). Cela l'a conduite à instaurer le télétravail total, sauf pour ceux qui ne pouvaient pas, qui étaient alors accompagnés : fourniture de masques, de gel, organisation en équipes. Ensuite, s'est posée la question du management à distance, pour que l'entreprise fonctionne, mais aussi pour que tous se sentent dans le collectif, continuent à travailler, se sentent protégés dans l'entreprise. Stéphane PALLEZ a ainsi pris la décision de ne mettre personne au chômage partiel, même si certains n'avaient plus d'activité, tout en ne demandant aucune aide à l'Etat. C'est une posture dont elle est relativement fière et qui a été totalement assumée. Il a également fallu apprendre à protéger l'entreprise en faisant un plan d'économie, qui n'a pas concerné les salariés. L'entreprise a gelé une partie de ses recrutements mais a continué à recruter. Dans le même temps, elle était en solidarité avec son réseau par la fourniture de masques, y compris pour les associations d'anciens combattants. L'entreprise a également fait des dons au personnel hospitalier, à des associations s'occupant de personnes vulnérables. Elle a donné 1,5 millions d'euros à la Fondation de France pour différentes causes. Stéphane PALLEZ a renoncé à un mois de salaire volontairement, avec son numéro 2, et les salariés ont donné des jours de congé pour abonder aussi ces actions de solidarité. Cette forme de solidarité collective de l'entreprise fait partie des décisions emblématiques de cette période. Stéphane PALLEZ a aussi eu une relation très intense avec son conseil d'administration, ses actionnaires, et a réuni fréquemment son conseil sur Teams. Elle a beaucoup communiqué vers le marché sur l'impact pour l'entreprise et la manière dont celle-ci s'organisait pour réagir, ce qui a été très positif. La crise est arrivée juste après la privatisation, l'entreprise avait très bien démarré son année, et affirmait être performante sur le plan économique et extra financier, et communiquait sur sa raison d'être. La crise a été le moment de le prouver. Beaucoup d'entreprises ont renoncé à verser un dividende, mais la Française des Jeux l'a maintenu (diminué de 30%), comme moins de 30% des entreprise en France cette année. Plutôt que de suspendre les promesses faites à la privatisation, l'entreprise s'est demandé comment appliquer dans cette situation ses principes et ses promesses.
  • Les changements survenus pendant le confinement qui vont perdurer dans la façon de travailler et l'organisation de l'entreprise (00:24:18 - 00:30:41). Pour Stéphane PALLEZ, beaucoup de choses avaient déjà été initiées avant, mais se sont accélérées avec le confinement, comme le télétravail. L'entreprise a appris à travailler dans un mode hybride (à distance, en présentiel, en mixte). Cela conduit à se rendre compte des bénéfices du télétravail mais aussi des risques, comme pour le présentiel. Selon Stéphane PALLEZ, il faut conserver le meilleur des deux : une certaine forme d'efficacité, d'organisation des réunions est favorisée par le travail à distance. En revanche, il est plus difficile d'avoir des échanges informels. L'entreprise apprend aussi sur le management, qui est une interaction complexe et riche, qui consiste à dialoguer avec ses équipes sur des sujets de fond, à être à leurs côtés pour les aider ou les stimuler sur des idées. Certains modes de management se sont accélérés : une plus forte responsabilisation de chacun, mais aussi une obligation de pensée collective. C'est pour Stéphane PALLEZ un ensemble de leçons très positives pour la manière de travailler ensemble. La relation digitale avec les clients a aussi été accélérée, en particulier sur l'activité de loterie. Avant cette période la partie en ligne était relativement petite, et elle a été dynamisée. Cette dynamique ne perdure pas forcément au même niveau ensuite, mais elle perdure dans ses fondamentaux. L'entreprise a appris aussi que la cybersécurité et les sujets relatifs à la protection des données étaient des sujets majeurs. Elle a résisté à la multiplication des cyberattaques pendant cette période. Cela a conforté l'idée que c'était à la fois un investissement majeur sur le plan technologique, mais aussi dans la formation, dans les usages digitaux. La crise a aussi globalement rapproché les gens dans l'entreprise. Elle était déjà peu hiérarchique, mais la crise, quand elle est prise comme un collectif par l'entreprise, l'a encore aplatie, ce qui est positif pour Stéphane PALLEZ.
  • La plus belle victoire, réussite, fierté durant le confinement (00:30:41 - 00:33:06). La plus grande fierté de Stéphane PALLEZ est de n'avoir rien sacrifié, ce qui était pour elle un pari. La santé n'a pas été sacrifiée car il y a eu très peu de cas de Covid-19 dans l'entreprise, l'emploi et les salariés n'ont pas été sacrifiés, ni la santé économique de l'entreprise sur le moyen terme. En effet la perte d'activité du premier confinement a été rattrapée en partie en deuxième moitié d'année car les économies faites ont permis de réinvestir pour relancer l'activité. Le système d'investissements de moyen terme dans le système d'information a été maintenu. Les actionnaires n'ont pas été sacrifiés non plus, ils ont fourni un effort dans leur propre intérêt. Les principes et les valeurs de l'entreprise n'ont pas été sacrifiés vis-à-vis des parties prenantes. Au contraire, le fait d'avoir été aux côtés du réseau de détaillants à renforcé la relation avec eux. La Française des Jeux a soutenu les anciens combattants (ses actionnaires historiques), et les soignants, les personnes vulnérables, qui font partie de son ADN. La fierté de Stéphane PALLEZ est donc de ne rien avoir sacrifié, et que la situation soit finalement avantageuse pour tous.
  • Les actions mises en place à l'annonce du déconfinement (00:33:06 - 00:37:18). En mai et juin 2020, l'entreprise a remis en marche ce qui s'était arrêté. Elle a fonctionné pendant cette période avec une activité réduite dans la partie loterie et dans son réseau. L'activité de paris sportifs a repris dès que les compétitions ont repris. Une attention particulière a été portée à la situation financière et la trésorerie du réseau de détaillants. La Française des Jeux a protégé les bars-restaurants fermés pendant le confinement en suspendant ses prélèvements sur eux. Lorsqu'ils ont repris, les prélèvements ont repris de façon progressive, en fonction de leur situation et de leur niveau d'impayés avec une conséquence très positive : quasiment aucune fermeture liée à la crise. L'autre élément de gestion de cette période a été de faire revenir les salariés sur le lieu de travail dans des conditions de sécurité sanitaire, avec distribution de masques et de gel. L'entreprise est revenue à 50% de personnes en présentiel avant le deuxième confinement, avec des rotations. L'activité est très bien repartie à partir de juin, avec un troisième trimestre en croissance par rapport à celui de l'année précédente.
  • L'impact de la crise sanitaire sur la stratégie de l'entreprise à moyen et long terme (00:37:18 - 00:40:31). Pour Stéphane PALLEZ, cette crise n'a pas fait découvrir de nouveaux sujets ou des impasses stratégiques. Elle a plutôt validé les orientations stratégiques, et donné des raisons ou des opportunités d'accélérer un certain nombre de thèmes comme la consommation digitale de l'entreprise, en particulier dans le secteur de la loterie. Certaines tendances sont en forte accélération comme le digital et ses opportunités pour la relation avec le client. Pour la Française des Jeux, la relation avec le client est toujours biface : être en relation proche, mieux comprendre les attentes, être en capacité de proposer de nouveaux produits aux clients, en fonction de leur comportement, de leurs attentes, de leur profil ; mais aussi un autre côté qui est spécifique à l'entreprise, car elle vend un produit spécifique, avec des risques. La relation avec le client a aussi la particularité d'identifier des comportements excessifs, d'être en mesure de les contrôler, de dialoguer avec ces clients sur ce sujet, de leur fournir des instruments d'auto responsabilisation ou d'autocontrôle.
  • Les enseignements tirés de la période (00:40:31 - 00:42:44). Pour Stéphane PALLEZ, on ne prévoit jamais les crises, notamment économiques. Pour elle, la crise est toujours un moment qui teste la capacité, la résilience, la réactivité, les valeurs de l'entreprise. Ce que l'organisation est, la manière dont elle fonctionne et se projette dans le futur apparaît de manière forte au moment d'une crise. Ce test a été très positif sur l'entreprise puisqu'il a révélé ses forces pour gérer une crise inattendue. Pour Stéphane PALLEZ, en tant que chef d'entreprise et qu'individu, on peut être assez fier de diriger une entreprise qui montre à l'occasion d'une crise comme celle-là plutôt ses forces que ses faiblesses.
  • L'appréhension des prochains mois dans le contexte actuel (00:42:44 - 00:45:06). Pour Stéphane PALLEZ, il faut rester modeste car personne n'est capable de prédire ce qui va se passer, même s'il y a des signes qui peuvent susciter l'optimisme sur l'amélioration de la situation. Stéphane PALLEZ est très sensible au fait que l'environnement économique et social est très dégradé, ce qui pour elle est un sujet auquel on ne peut pas être insensible, ni comme chef d'entreprise, ni comme citoyen. Stéphane PALLEZ est à la fois confiante dans la capacité de l'entreprise à continuer à vivre dans un contexte assez incertain, et plus inquiète sur son environnement. Elle ne pense pas qu'une entreprise puisse aller bien toute seule dans une économie et une société qui vont mal. Elle se demande comment l'entreprise peut continuer à se développer, à apporter de l'emploi, de la sécurité, des revenus à elle-même et son écosystème, voire comment elle peut contribuer de manière plus générale à l'évolution de la société, assez ébranlée.
  • Pourquoi avoir accepté de répondre à cet appel à témoignage ? (00:45:06 - 00:46:20). Stéphane PALLEZ pense que c'est une très bonne initiative que de recueillir en direct la mémoire de cet événement assez exceptionnel, dans l'histoire économique, sociale, du point de vue de l'humanité. Elle pense qu'il est très intéressant de capter cette mémoire en direct car les gens ont tendance à oublier rapidement les événements.
  • Evocation de sujets non abordés (00:46:20 - 00:47:42). Une chose mérite d'être ajoutée selon Stéphane PALLEZ : les entreprises ont redécouvert l'importance de la fonction des ressources humaines, essentielle et stratégique dans les entreprises. Avoir une très bonne fonction de ressources humaines permet d'affronter les crises différemment, et cette fonction a été constamment sollicitée pendant cette période.

Cote :

2021 12 26

Informations sur le producteur :

Stéphane Pallez devient président directeur général de la Française des jeux en 2014. Créée en 1976, cette société anonyme a pour activité l’organisation des jeux de loterie.

Description :

Mise en forme :
Classement définitif

Conditions d'accès :

article numérisé (numérisation en ligne ou à demander auprès des ANMT)

Conditions d'utilisation :

Toute exploitation d’extrait est soumise à l’autorisation préalable des ayants droit. Elle devra faire mention du projet « Mémoire des entreprises au temps de la covid-19 » et de ses partenaires, en les citant. L’exploitation commerciale de ces enregistrements entraînera une négociation entre les coauteurs et le diffuseur.

Description physique :

Entretien mené sur Zoom et conduit par Perles d'Histoire. Durée : 0:47:40.

Où consulter le document :

Archives nationales du monde du travail - ANMT

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