Document d'archives : Entretien d’Hubert de Boisredon, président directeur général d’Armor.

Contenu :

  • Présentation du témoin (00:00:00 - 00:03:28). Hubert DE BOISREDON se présente : il a 56 ans, est arrivé chez Armor en 2004, après une histoire professionnelle variée (HEC en 1986, études à New York et en Allemagne, puis travail pendant 7 ans dans un service de coopération au Chili avec la création de la première société capitale risque chilienne tournée vers les PME, une banque pour micro-crédit, créée avec un ami et sa future épouse, pour que les PME puissent avoir accès au crédit bancaire à l'époque). Hubert DE BOISREDON parle de l'engagement sociétal fort qu'il a eu dans cette première expérience.
    Hubert DE BOISREDON continue sur son expérience professionnelle : Rhône-Poulenc pendant 11 ans en France, puis poste au Japon, puis Hong-Kong en Chine. Ces expériences ont été l'occasion pour Hubert DE BOISREDON de comprendre l'enjeu du développement durable pour les entreprises.
    Ensuite, Hubert DE BOISREDON est devenu Directeur général d'Armor, puis Président-Directeur Général.
    Il présente ensuite le groupe : entreprise industrielle (2000 personnes), qui est devenue leader mondial dans les consommables d'impression pour l'impression des étiquettes et codes barre et tout ce qui est informations variables sur emballage (ce qui touche à la traçabilité des produits, la sécurité des biens et des personnes). Hubert DE BOISREDON parle de l'engagement sociétal de l'entreprise, réalisé à partir des technologies du groupe : réinvention des panneaux solaires classiques en films photovoltaïques souples, création de films collecteur enduits pour améliorer la performance des batteries électriques, renouveau de la production locale avec la fabrication additive (fabrication de pièces en 3D près de Nantes). Hubert DE BOISREDON conclut que le groupe est la synthèse d'un engagement fort de jeunesse (au Chili) et une expérience internationale d'industriel, qui se concentrent dans un projet industriel au service de la société.
  • Prise de conscience de la gravité de la situation (1) (00:03:30 - 00:05:38). Hubert DE BOISREDON déclare qu'au début, au mois de février, comme beaucoup il voyait le virus comme une affaire chinoise qui ne nous toucherait pas. Hubert DE BOISREDON raconte un évènement à Nantes, organisé par L'Ouest du Bien commun, qui rassemblait 500 dirigeants d'entreprises au théâtre Graslin, à Nantes, le 2 mars pour une soirée caritative. Lors de cette soirée, Hubert DE BOISREDON avait déjà pris soin de ne pas s'approcher des gens, car le virus était déjà à Strasbourg. Il est ensuite parti en vacances (sport d'hiver) le 11 mars. Malgré son éloignement physique de la ville pendant ces vacances, Hubert DE BOISREDON a senti que quelque chose de grave se passait.
    Le premier impact pour lui date du 14 mars. Une grosse acquisition était envisagée, internationale et mobilisant plusieurs millions d'euros, mais il a senti que c'était trop risqué et a appelé les partenaires avec qui le groupe devait effectuer cette acquisition le 14 mars, et leur a signifié sa décision de la stopper.
    Hubert DE BOISREDON continue sur la journée du 15 mars : à l'hôtel le matin, il n'y avait plus de petit-déjeuner et il a dû partir et rentrer en urgence à Nantes, notamment pour réconforter les équipes déjà secouées, dans l'attente de l'annonce du Président de la République le 16 mars.
  • Prise de conscience de la gravité de la situation (2) (00:05:39 - 00:08:38). Hubert DE BOISREDON déclare que suite à l'annonce télévisée du Président, le comité de direction est réuni à 22h30. Il sentait alors que le groupe ne pouvait pas s'arrêter, pour lui-même et aussi pour la société (nécessité de livrer certains produits qui ont besoin de code barre et de traçabilité). Il y avait un devoir de continuer pour l'entreprise et pour la société. Cependant il y a eu un débat fort sur la question de la solidarité (entre rester chez soi ou continuer à travailler sur place). Il a fallu alors décider qui doit venir travailler : les usines du groupe fonctionnent en continu et les ouvriers doivent venir 24h/24 en plein de confinement. Des questions se sont posées sur le travail des cadres, qui pouvaient rester chez eux, ce qui crée une différence de traitement entre eux et les ouvriers qui viennent travailler sur site. Hubert DE BOISREDON a alors décidé seul de poursuivre l'activité du groupe, en demandant une solidarité du comité de direction. Une note a été écrite par le comité pour demander qu'au maximum le personnel reste, à l'exception des personnes ayant des problèmes de santé et que les mesures sanitaires seraient appliquées strictement. Le télétravail pouvait être choisi par les employés, avec l'instauration d'un cycle de fonctionnement. Cette décision a était l'une des plus difficiles à prendre de sa vie.
    Hubert DE BOISREDON revient sur le discours du Président, qui avait comme conséquence d'arrêter l'activité, ce qui n'allait pas le sens prôné par le groupe.
  • Prise de conscience de la gravité de la situation (3) (00:08:39 - 00:10:51). Hubert DE BOISREDON déclare que la situation était compliquée car les transporteurs refusaient de transporter les produits non médicaux ou alimentaires. En conséquence, il a appelé le préfet de région, Claude D'Harcourt, pour évoquer la notion d'activité essentielle et d'activité de deuxième ligne, en lui expliquant que les activités du groupe étaient essentielles pour les produits alimentaires et médicaux. Le préfet a donc fait un courrier qui déclarait le groupe comme activité essentielle de la nation. Hubert DE BOISREDON déclare que cette lettre a permis de légitimer la décision qu'il avait prise, cette nouvelle a été partagée avec l'ensemble du personnel.
    Hubert DE BOISREDON déclare que le groupe a 31 sites mondiaux. En conséquence, le défi à relever pour poursuivre l'activité ne concernait pas seulement la France mais aussi le Canada, l'Afrique du Sud, les Etats-Unis, le Brésil, la Colombie, l'Inde, Singapour, la Chine, la Turquie, l'Espagne, le Maroc... Ces arguments ont permis de maintenir des sites de production en Inde, totalement confinée à l'époque, et que cette situation a signifié des démarches très courageuses des équipes pour expliquer les conséquences de l'arrêt du site, et convaincre les autorités.
  • Conséquences immédiates suite à l'annonce du confinement (00:10:52 - 00:12:42). Hubert DE BOISREDON déclare que l'enjeu principal était de maintenir la cohésion, car la catastrophe sanitaire touche les personnes dans leur chair, dans leurs familles (différentes réactions : peur de la mort, de la maladie). Hubert DE BOISREDON déclare qu'il y a un doigté à prendre pour comprendre la situation de chaque personne, pour identifier les personnes à risques et les protéger, et protéger leurs équipes, pour réagir vite si quelqu'un est malade avec des mesures claires tout en confortant ceux qui restent. Hubert DE BOISREDON déclare que le groupe a appliqué des mesures avant que l'Etat ne les conseille (distance, gel, une ou deux personnes par bureau). Hubert DE BOISREDON déclare que toutes ces mesures ont été mises en place immédiatement, avec un investissement dans les machines qui permettent de prendre la température par exemple. Il rappelle qu' à l'époque il n'y avait pas de masques, et se posait donc la question de la protection du personnel. Hubert DE BOISREDON déclare qu'il a fallu manager par la crédibilité, et que la réponse était une réponse de confiance.
  • Gouvernance de l'entreprise (00:12:43 - 00:13:43). Hubert DE BOISREDON déclare qu'il y a eu des réunions de crise tous les jours (la première à 22h30 le 16 mars) pour s'adapter à la situation, prendre le pouls des équipes. Hubert DE BOISREDON déclare que la Loire Atlantique était assez préservée du virus. Il n'y a pas eu de cas à Nantes. Hubert Le groupe a dû gérer en revanche des cas au Brésil (répartition des équipes en 2 équipes qui ne se croisent jamais. Au Brésil, une équipe a été contaminée. Le site a tourné à 50%.
  • Changements qui vont perdurer après la crise (00:13:45 - 00:16:33). Hubert DE BOISREDON déclare que le gros changement est le télétravail, même s'il reste réservé sur le télétravail à outrance, car certaines personnes, qui ont respecté le confinement, en sont revenues très atteintes psychologiquement, fragilisées, avec des situations familiales compliquées. Il déclare que ce qui a permis au groupe de sortir de la crise, par le haut et dans la cohésion, a été de réfléchir au concept de solidarité. Hubert DE BOISREDON parle du concept qu'il a appelé "l'importance du corps social". Selon lui, l'entreprise est un corps social qui a besoin des uns et des autres. A titre d'exemple, il évoque les évènements du matin du 17 mars. Plusieurs cadres sont venus récupérer leurs affaires pour se confiner ailleurs. Il les a alors interpellés en disant qu'il pensait à eux seuls, et non pas au corps social et à l'entreprise. Hubert DE BOISREDON déclare qu'il n'a pas dit qu'il ne fallait pas partir, mais que c'était une décision à prendre collectivement. Il cite un autre exemple avec le départ potentiel du personnel du service de la paie et des conséquences sur tous les salariés (pas de paie à la fin du mois). Hubert DE BOISREDON déclare qu'il leur a dit de se poser la question de leur utilité à eux.
    Hubert DE BOISREDON déclare qu'il a fallu gérer cette complexité : comment responsabiliser sans culpabiliser, comment prendre le risque de continuer sans prendre de risque sanitaire pour le personnel, et dans ce contexte, comment rassurer et faire l'unité. Puis il revient sur les changements qui vont perdurer après la crise. Il cite le digital (réunions zoom),  la flexibilité des réunions, du télétravail et la plus grande conscience de ce que signifie le corps social de l'entreprise.
  • La plus belle victoire (00:16:34 - 00:18:52). Hubert DE BOISREDON déclare qu'il a deux plus belles victoires. La première est de n'avoir fermé aucun site dans le monde durant tous les confinements jusqu'à ce jour (même dans les pays les plus radicaux, Inde, Canada, Etats-Unis). La deuxième victoire est la solidarité, la créativité et l'esprit entrepreneur qui se sont manifestés. Il évoque une anecdote sur les masques : un de ses collaborateurs, responsable de l'activité de fabrication additive, a rencontré des personnes de l'université de Nantes pour discuter d'un projet de visière de protection pour les gens du CHU. En trois jours, ils ont réussi à convertir leur site de production en usine de guerre pour fabriquer à grande échelle des visières de protection (100 000), et à fournir le CHU de Nantes, les hôpitaux de Paris. Hubert DE BOISREDON déclare que le groupe a été une des premières entreprises à fournir des visières de protection pour tous les médecins.
    Hubert DE BOISREDON déclare qu'à ce moment-là le chômage partiel était en place, mais que le groupe a rappelé tout le monde, tous les volontaires qui sont venus prêter main forte, et l'usine a tourné à 100%. Ces productions ont suscité beaucoup d'émotions car le groupe et le personnel étaient très fier d'avoir contribué à l'effort, et se sont sentis en deuxième ligne.
  • Troisième partie : actions mises en place au déconfinement (00:18:55 - 00:22:12). Hubert DE BOISREDON déclare que la période du confinement n'a pas été si mauvaise paradoxalement, car les usines ont bien tourné pendant le mois de mars et avril. Le déconfinement a été le début de la crise économique, car il y a eu un effet contre coup du surstock donc il y a eu une période de creux (mois difficiles en mai et en juin). Il a alors fallu remonter le moral des troupes et passer du temps pour réincorporer les salariés qui étaient en télétravail, les réaccueillir et refaire l'unité du corps.
    Hubert DE BOISREDON souligne un autre point : l'ensemble du groupe n'a plus voyagé depuis un an (donc pas ils n'ont pas vus leurs collègues à travers le monde). Les réunions internationales, ou avec les clients à travers le monde, n'ont pas repris avec le déconfinement, car il était limité.
    Si le déconfinement a apporté du soulagement, Hubert DE BOISREDON garde beaucoup de prudence, avec aussi un maintien des mesures sanitaires. Il y a eu un changement d'habitudes (température, cas des cas contacts), ce qui implique parfois une réorganisation des ateliers de production. Il faut aussi rassurer les gens (ceux qui reviennent désorientés) et partager des données économiques.
    Hubert DE BOISREDON déclare qu'il a changé en conséquence son management, en étant présent tous les jours dans les bureaux, pendant le confinement pour soutenir et remercier, puis dans le déconfinement pour accueillir les personnes qui revenaient.
  • Impact sur la stratégie de l'entreprise (00:22:13 - 00:24:43). Hubert DE BOISREDON déclare "oui et non". Le groupe s'est conforté dans ses forces (leader mondial des consommables d'impression pour étiquettes et code barre, système de production et de logistique intégrée de la production jusqu'aux clients, qui a permis de continuer à livrer les clients dans le monde entier, alors que les concurrents (notamment des concurrents chinois) sont moins intégrés. La crise a fait gagner au groupe 3 points de parts mondiales de marché grâce à ces forces qui se sont révélées.
    Hubert DE BOISREDON déclare que la crise a conforté le groupe dans sa raison d'être.
    Concernant les nouvelles technologies (impression additives etc..), le groupe a réalisé qu'il avait déjà préparé "le monde d'après". Cette situation a conforté le groupe dans cette orientation, de vouloir construire des activités aux service d'enjeux de la société, comme la transition énergétique. Selon lui la crise sanitaire est encapsulée dans la crise du réchauffement climatique. Cette crise a conforté leur position.
    Hubert DE BOISREDON déclare que sur la forme, le groupe a acquis une nouvelle souplesse de fonctionnement (moins de voyages, si non essentiels, plus de réunions digitales, tout en créant du lien).
  • Appréhension des prochains mois (00:24:44 - 00:26:10). Hubert DE BOISREDON déclare qu'il est très confiant, car le groupe a continué de regarder vers l'avant, a innové pendant la crise (lancement de 3 nouveaux produits sur l'activité principale en pleine crise). Hubert DE BOISREDON déclare qu'il faut se préparer au rebond et que le groupe est prêt pour repartir.
    Hubert DE BOISREDON déclare être conscient cependant qu'il y a une crise économique dans certains secteurs. Mais pour ce qui concerne leurs activités, les secteurs concernés ont bien tenu.
  • Sujets non abordés lors de l'entretien (00:26:11 - 00:28:27). Hubert DE BOISREDON voudrait parler de la force des ETI, dont fait partie Armor Group. Ce sont des entreprises de taille mondiale, donc capables de s'adapter aux situations (antennes en Asie, en Europe, aux Etats-Unis qui permettent de repartir) car l'internationalisation est un atout. Ce sont aussi des entreprises qui sont agiles et flexibles qui peuvent prendre des décisions rapidement (exemple : décision de ne pas faire l'acquisition lors d'une réunion en 2h avec les équipes), qui peuvent repousser des investissements de manière libre et rapide (proche du business, connaissance du terrain), qui sont ancrées dans le territoire (Hubert DE BOISREDON a créé avec un autre dirigeant  par exemple une association des dirigeants responsables des entreprises de l'Ouest, l'ADRO, qui mettent le développement durable au cœur de leur stratégie). Le groupe a aussi un actionnariat salarié (500 salariés sont actionnaires), ce qui a selon lui beaucoup aidé à continuer la production de l'entreprise (sentiment d'appartenance à l'entreprise). Il fait la différence avec d'autres collègues dirigeants qui n'ont pas pu continuer à faire fonctionner les usines à cause de pressions diverses.
  • Pourquoi avoir accepté de participer à ce projet ? (00:28:28 - 00:30:10). Par fierté, notamment de ses équipes. Il y a eu la manifestation d’un courage absolument exemplaire, qui l’a vraiment impressionné. Et c’est bien que ce courage traverse l’histoire. De dire que c’est souvent dans les épreuves que se révèle le meilleur, c’est-à-dire la beauté de l’engagement des personnes, la capacité à entreprendre pour les autres. C’est aussi une source d’espérance, notamment pour les plus jeunes, de se dire que l’entreprenariat. Dans une société très fragmentée, très divisée, on voit des manifestations en ce moment diverses, parfois violentes, qui s’opèrent dans nos villes, les lieux pour faire société ne sont pas si fréquents que ça maintenant. Les lieux où on peut se retrouver ensemble pour construire la société, pour faire corps justement, pour construire ce corps social, l’entreprise reste un des endroits où c’est possible. Hubert DE BOISREDON souhaite par ce témoignage attester, qu'à travers le rôle sociétal de l’entreprise qui dépasse simplement ce qu’on appelle la RSE, des personnes très diverses, ensemble, sont réunies autour d’un projet.

Cote :

2021 12 35

Informations sur le producteur :

Hubert de Boisredon devient président directeur général d’Armor en 2008. Le groupe est issue de la société Galland & Brochard, créée en 1922. Il se spécialise dans les technologies d’impression. La marque est déposée en 1925.

Description :

Mise en forme :
Classement définitif

Conditions d'accès :

article numérisé (numérisation en ligne ou à demander auprès des ANMT)

Conditions d'utilisation :

Toute exploitation d’extrait est soumise à l’autorisation préalable des ayants droit. Elle devra faire mention du projet « Mémoire des entreprises au temps de la covid-19 » et de ses partenaires, en les citant. L’exploitation commerciale de ces enregistrements entraînera une négociation entre les coauteurs et le diffuseur.

Description physique :

Entretien filmé conduit par Perles d'Histoire. Durée : 0:30:08.

Institutions :

Armor

Type de document :

document audiovisuel

Où consulter le document :

Archives nationales du monde du travail - ANMT

Archives nationales du monde du travail - ANMT

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