La réparation, pécuniaire et matérielle, des dommages de guerre n'est pas propre à la Seconde Guerre mondiale. En effet, dès la guerre de 1870, et a fortiori après la Grande Guerre, la reconstruction occupe déjà une bonne part du budget de l’État. Mais avec la guerre de 39-45, l’ampleur des destructions est toute autre. Peu après l’armistice du 22 juin 1940, le gouvernement de Vichy met en place la délégation générale à l’équipement national. Elle pose les principes repris ensuite à la Libération par le commissariat général aux dommages de guerre à partir de 1944, puis par la direction des dommages de guerre, de 1949 à 1965. Chaque sinistré peut dès lors obtenir une indemnisation égale à la valeur totale du bien, déduction faite d'un abattement calculé en fonction de la vétusté de l'édifice, mais à la condition que le projet de reconstruction se fasse « sur place et à l’identique ». Cette procédure permet à l’administration centrale d'accélérer les travaux sur certains édifices et de pouvoir gérer au mieux les coûts, dans une situation économique difficile.
Selon un mémoire non daté sur l'historique des dommages de guerre (Archives nationales, 19970272/1), on dénombrerait plus de 6 296 000 dossiers instruits par l'administration française, dont 300 000 traitant de biens immobiliers entièrement détruits et 1 520 000 de biens immobiliers partiellement détruits. L’ensemble des opérations de reconstruction menées suite à la Seconde Guerre mondiale s'élève à environ 40 milliards de francs nouveaux. À son apogée, l’administration des dommages de guerre emploie plus de 170 000 agents. La fin de la réparation des dommages de guerre au sein de l'administration française est marquée par deux paliers, en 1985 avec la fermeture du centre national de règlement des dommages de guerre, et en 2005 avec la disparition des derniers avatars de cette activité.
Pour hâter le relèvement de l’économie française, et en particulier celui des entreprises liées à la construction, aux transports et aux moyens de communication, l'administration centrale intervient dans certains dossiers habituellement confiés aux centres départementaux des dommages de guerre. Cette procédure est étendue aux dossiers de dommages de guerre nécessitant de très importants moyens financiers pour leur reconstruction : c'est le cas de l'intégralité des édifices mentionnés dans le présent inventaire.
Ces dossiers, constitués par édifice, comprennent des pièces fournies par les sinistrés, auxquelles s'ajoutent celles produites par les centres départementaux des dommages de guerre, et l'administration centrale. Ils reçoivent une référence spécifique, telle que « PN 16 A 4 ». Le sigle PN signifie « priorité nationale » ou « plan national » selon les sources. Le numéro à deux chiffres qui suit correspondant à une thématique particulière, dans l'exemple choisi, les carburants. Quelquefois, une lettre précise une sous-thématique, ici, les raffineries. Le dernier numéro renvoie à l'édifice lui-même. Les dossiers décrits par le présent inventaire correspondent aux thématiques 51 à 54 de cette nomenclature, en vigueur dans l'administration des dommages depuis 1947 :
- 51. Arts. Lettres. Sports (A. Bibliothèques, B. Archives, C. Stades, D. Musées, E. Théâtres, F. Divers) ;
- 52. Ministère des Finances ;
- 53. Ministère de l’Intérieur (A. Préfectures, B. Sous-préfectures, C. Hôtels de ville, D. Abattoirs, E. Etablissements pour enfants attardés, F. Eglises, G. Temples, H. Synagogues, I. Divers - digues, marchés, incendie, bains-douches, salles des fêtes) ;
- 54. Ministère de la Justice (Palais de justice).
La reconstruction d’un édifice traité sur le plan national commence par la demande d’indemnisation, à l’initiative du sinistré. Il s'agit toujours, dans les dossiers décrits ici, du maire, sauf dans le cas du crédit municipal de Marseille (Archives nationales, 19860610/50-19860610/51). La demande d'indemnisation peut se présenter sous la forme d'un dossier qui contient pièces, photographies et plans documentant les dommages. Elle peut aussi être annexée à une demande de permis de construire. Les dossiers sont transmis à l'administration centrale par l'intermédiaire des centres départementaux des dommages de guerre. Les services peuvent demander au sinistré des informations complémentaires sur l’édifice, notamment l’expertise d’un architecte de la Reconstruction, ainsi que des devis estimatifs.
Une fois le dossier constitué, l’administration centrale procède à un calcul de l’indemnité provisoire. Il s’agit d’une estimation du bien avant le sinistre, généralement calculée sur la valeur du franc de 1939. Cette somme est alors considérée comme le budget provisoire des travaux. Un premier acompte est versé au sinistré pour lui permettre de commencer les opérations. D’autres acomptes pourront également être demandés par le sinistré, mais ils sont soumis à justificatif. Pour relever le montant de son indemnité, le sinistré peut également avoir recours au transfert - depuis un autre édifice -, à la mutation - lorsque la fonction de l'édifice change -, à la cession ou à l'achat d'une ou plusieurs indemnités. Cependant, ces deux dernières possiblités concernent surtout les particuliers.
Après l'établissement de l'indemnité provisoire, le sinistré a recours à une procédure de marché pour sélectionner les entreprises en charge des travaux. Le cas échéant, les besoins du sinistré sont précisés dans un cahier des prescriptions spéciales.
À mesure de l'achèvement des travaux, le sinistré transmet les mémoires des entreprises détaillant leurs réalisations, ainsi qu'un dossier financier très circonstancié justifiant des dépenses consenties. Si la reconstruction s'écarte du projet originel, des modifications sont apportées au permis de construire ou à l'évaluation de l’indemnité provisoire. Lorsque que tous les travaux sont achevés, l’administration calcule le montant de l’indemnité définitive en s'appuyant sur les mémoires des entreprises et le dossier financier. L’indemnité définitive est alors notifiée au sinistré, qui perçoit les sommes dues, déduction faite des acomptes. Les dossiers peuvent comporter d'autres pièces ou sous-dossiers, dans le cas de contentieux ou « de fondations spéciales », c'est-à-dire d'opérations de démolition de l’édifice sinistré.
Les architectes agréés par le ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme jouent un rôle central dans l'indemnisation et la réparation des dommages de guerre. Les architectes de la Reconstruction - parmi eux, des architectes de grand renom comme Auguste Perret - sont chargés de l'évaluation des dommages, de l'élaboration d'un projet de reconstruction, puis de la supervision des travaux. Parfois, plusieurs ont été chargés d'un même édifice. Leurs noms figurent sur les plans, de même que sur certaines pièces administratives. D'autres architectes ont pu intervenir dans la construction d'annexes ou de parties de l’édifice, architectes municipaux ou collaborateurs des architectes agréés par exemple. Dans la mesure du possible, les noms et agréments des architectes de la Reconstruction ont été reportés dans le présent inventaire.
La loi n° 46-2389 du 28 octobre 1946 prévoit une reconstruction « sur place et à l'identique », mais la Reconstruction a également été une période d’expérimentation tant sur le plan des matériaux que sur celui de l'architecture. Les édifices classés ou inscrits aux monuments historiques avant la Seconde Guerre mondiale ont pu conserver ce statut. Les édifices reconstruits ont pu également obtenir l'inscription ou le classement, soit en raison de leur caractère novateur, soit en raison de leur exemplarité. Enfin, certains sont situées dans des villes qui ont fait l'objet d'un classement au patrimoine mondial de l’UNESCO. Ainsi, les dossiers de dommages de guerre de priorité nationale contiennent des informations très détaillées sur les édifices et ou reconstruits, et renferment notamment de nombreux documents iconographiques : ils revêtent à ce titre un grand intérêt pour l'histoire et l'histoire de l'art.