Page d'histoire : Théroigne de Méricourt Marcourt (Belgique), 13 août 1762 – Paris, 9 juin 1817

« Amante du carnage » (Baudelaire), « prostituée volontaire du peuple » (Lamartine) : les poètes du XIXe siècle ont fixé la légende noire, née pendant la Révolution sous les plumes royalistes, d’une Théroigne débauchée et sanguinaire. Figure fantasmée, elle incarne alors la violence révolutionnaire, et la folie furieuse qui guetterait toute femme transgressant son rôle domestique. Longtemps, cette légende a  recouvert l’Histoire et masqué le destin tragique d’Anne Josèphe, petite paysanne devenue révolutionnaire avant de sombrer dans la folie.

Née à Marcourt dans une famille de laboureurs aisés, Anne Josèphe Théroigne la quitte à quinze ans, exerce divers métiers, puis vit avec un riche Anglais et voyage en Europe. À Paris en 1789, enthousiasmée par les événements, elle abandonne son ancienne vie et se consacre à la Révolution. Vêtue d’un costume d’amazone qui lui donne fière allure, n’hésitant pas à défendre en public des idées avancées, elle fonde deux clubs éphémères, et se fait remarquer dans les tribunes de l’Assemblée. Elle devient la cible des royalistes, qui lui donnent le sobriquet de Théroigne de Méricourt. Dans des écrits et caricatures pornographiques, ils en font un personnage grotesque de courtisane lubrique et cruelle. « J’étois femme, voilà le grand inconvénient aux yeux de l’autre sexe », écrit-elle amèrement. Soupçonnée, à tort, d’avoir été à la tête des femmes à Versailles en octobre 1789, elle retourne en mai 1790 dans son pays natal. Mais sa réputation a franchi les frontières et, en février 1791, elle est enlevée par des émigrés et emprisonnée dans une forteresse autrichienne. Libérée en novembre 1791, elle rentre à Paris où elle reçoit un accueil triomphal. « L’amazone de la liberté » est aussi une féministe avant l’heure, qui aspire à l’égalité des droits. En mars 1792, elle appelle les citoyennes à s’armer et à « briser leurs fers », à sortir de la « honteuse nullité où l’ignorance, l’orgueil et l’injustice des hommes les tiennent asservies depuis si longtemps ». Son courage lors de l’insurrection du 10 août 1792 lui vaut une couronne civique, mais la presse royaliste se déchaîne contre elle et l’accuse d’avoir massacré un journaliste. Et elle qui prône l’unité des républicains est victime de leurs divisions, fouettée en public par des jacobines lui reprochant d’être girondine (mai 1793). Arrêtée un an plus tard, elle est libérée pour « démence » en décembre 1794 et internée, contre son gré, par son frère dans une maison d’aliénées. Elle avait attiré sur elle la lumière de la Révolution, elle terminera ses jours enfermée dans l’ombre de la folie et de l’asile, vilipendant les modérés et répétant les mots de Révolution et liberté.

Dominique Godineau
université Rennes-2

Pour aller plus loin

Le musée Lambinet a organisé une exposition "Amazones de la Révolution - Des femmes dans la tourmente de 1789" du 5 novembre 2016 au 5 avril 2017.
Elle est présentée par son commissaire Martial Poirson sur la vidéo ci-dessous

Source: Commemorations Collection 2017

Liens