Page d'histoire : Honoré d’Urfé Marseille (Bouches-du-Rhône), 11 février 1567 – Villefranche-sur-Mer (Alpes-Maritimes), 1 er juin 1625

Honoré d’Urfé, estampe de Pierre Louis van Schuppen, 1699, Paris, Bibliothèque nationale de France.

 

Honoré d’Urfé fut retenu par l’Académie française lors de sa fondation (1634-1635) comme l’un des « meilleurs auteurs » en prose susceptibles de servir de référence au futur Dictionnaire. C’est assurément à L’Astrée, son chef-d’oeuvre, que pensaient les académiciens. Il avait pourtant déjà composé d’autres textes, à commencer par les Épîtres morales, rédigées en captivité alors qu’il s’était engagé dans la ligue ultra-catholique contre le pouvoir royal. (il s’y ralliera en 1610 et son retour en grâce sera confirmé par Louis XIII après l’assassinat d’Henri IV). À ce recueil s’ajoutent le long poème du Sireine, La Sylvanire ou la Morte-vive, pastorale dramatique, et même une épopée en vers, La Savoysiade, restée manuscrite. Si ces derniers textes ne sont aujourd’hui connus que de quelques spécialistes, il n’en va pas de même de son long roman pastoral. Publié en cinq parties (de 1607 à 1628) dont seules les trois premières parurent du vivant de l’auteur, L’Astrée connut d’emblée un succès fulgurant, dont témoigne le grand nombre des éditions successives, des traductions, des adaptations pour le théâtre et des réécritures. Il fut lu et admiré pendant plusieurs siècles, jusqu’à Chateaubriand, pour ne rien dire du film d’Éric Rohmer sorti en 2007… Charles Sorel le qualifie de « roman des romans », en raison des multiples récits insérés qu’accueille l’histoire principale, celle des amours contrariées d’Astrée et de Céladon et de leurs amis du Forez, aux bords de la rivière de Lignon. Ces bergers ne le sont que par choix : ils ont renoncé aux affaires publiques pour la douceur de la vie champêtre, même si celle-ci se révèle troublée par la « tyrannie » de l’amour. Leur exquise civilité, leur politesse de langage, traduisent leur origine aux antipodes de la rusticité des vrais pasteurs de troupeaux. Servi par une prose fluide aux accents déjà modernes, L’Astrée marque une étape décisive dans l’histoire du genre romanesque, tout comme il venait clore la longue chaîne de la fable pastorale à l’échelle européenne inaugurée par L’Arcadia de Sannazar (1504). L’« honnête amitié » dont le sous-titre de l’oeuvre se propose de raconter « les divers effets […] par plusieurs histoires, et sous personnes de bergers, et d’autres », y désigne en réalité les formes de l’amour constant, dont Céladon est le modèle achevé. Le roman illustre ainsi exemplairement les manières de sentir et de penser où se reconnurent des générations de lecteurs. « Homme d’armes et de lettres », comme on les admirait alors, Honoré d’Urfé connut en effet les guerres de Religion, conduisit des troupes pour le compte du duc de Savoie auquel il était lié par sa mère, connut deux fois la captivité : c’est dans les moments de relâche qu’il sut créer cette oeuvre majeure.

Delphine Denis
professeur de langue et littérature françaises université Paris-Sorbonne

Pour aller plus loin...

  • Le château de la Bâtie (ou Bâtie d'Urfé), demeure familiale d'Honoré d'Urfé, a été racheté par La Diana, une des plus anciennes sociétés savantes de France, dont certaines publications sont disponibles sur Gallica
  • Le Règne d'Astrée, rattaché à l'Université Paris-Sorbonne, présentera à terme une édition hypertextuelle avec variantes de L'Astrée, établie par des spécialistes du roman du XVIIe siècle et de la pastorale.

Source: Commemorations Collection 2017

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