Page d'histoire : Ligier Richier Saint-Mihiel (Meuse), vers 1500 – Genève (Suisse), février ou mars 1567

La Mise au tombeau, ou Sépulcre de Saint-Mihiel (détail), sculpture en calcaire, avant 1564, Saint-Mihiel, église paroissiale Saint-Étienne.

Une trentaine de documents à Nancy et à Genève, dont Ligier Richier devint citoyen, aident à construire la biographie du sculpteur, l’un des plus grands artistes lorrains du XVIe siècle. C’est insuffisant pour bien connaître sa formation et son activité, mais une tradition érudite et littéraire à peine perturbée par la légende le célèbre depuis le XVIIIe siècle ; elle trouve un écho frappant dans une surprenante ferveur régionale, avivée par l’émotion des guerres dans la Meuse et l’inquiétude désenchantée de notre temps.

En 1530, lorsque Antoine, duc de Lorraine, lui accorde sa protection, Ligier Richier, chef de famille, bourgeois de Saint-Mihiel, sa ville natale, est à la tête d’un atelier et s’est déjà acquis une grande réputation par des ouvrages tels que des portraits en terre cuite (perdus) et par le retable de la Passion à Hattonchâtel (collégiale Saint-Maur, pierre calcaire polychrome, 1523), l’une des réalisations les plus raffinées de la Renaissance en Lorraine. Tout l’art de Ligier Richier oscille entre l’expression humaniste allusive et délicate que cultivaient la cour de Lorraine et certaines élites ecclésiastiques, et les figurations spectaculaires de la passion du Christ, reflet d’une piété régionale vivace et d’une spiritualité nourrie de mystique rhéno-flamande. Le volume dramatique, l’intériorité sensible des grands calvaires de bois à plusieurs personnages (Briey, église Saint-Gengoult, 1534 ; Bar-le-Duc, église Saint-Étienne), de la Pâmoison de la Vierge (bois, Saint-Mihiel, église abbatiale Saint-Michel) ou de l’émouvante Pietà d’Étain (pierre calcaire) s’écartent résolument des traditions des « imagiers » par la quête d’un classicisme mesuré, lisible dans l’élégante souplesse des drapés comme dans la distinction et la densité psychologique des figures.

Le calcaire local à grain très fin sollicite la virtuosité de son ciseau dans deux célèbres effigies funéraires, le gisant de Philippe de Gueldre (Nancy, chapelle des Cordeliers), portrait « au vif » de la souveraine, veuve de René II, en clarisse, et le Squelette (Bar-le-Duc, église Saint-Étienne), monument du coeur de René de Chalon, où la spiritualisation héroïque du cadavre, à une distance infinie des « transis » de l’automne du Moyen Âge, délivre encore son message paradoxal, tout en faisant regretter la perte du décor de la chapelle des Princes à la collégiale Saint-Maxe, qu’admira Montaigne. Des restaurations récentes ont mis en valeur les chefs-d’oeuvre de Ligier Richier, notamment La Mise au tombeau (Pierre calcaire, vers 1554-1564, Saint-Mihiel, église Saint-Étienne), magistrale dramaturgie à treize personnages où le sculpteur, converti à la foi de Calvin, insuffle des réminiscences italiennes et une nouvelle profondeur du sentiment plastique. Enfin, la découverte d’une Sainte Élisabeth (Pierre calcaire, Saint-Mihiel, musée d’Art sacré), marquée par l’âge, alourdie par sa grossesse et par son costume de brocart, frappe par la maîtrise de la tension émotionnelle et vérifie l’originalité du maître de Saint-Mihiel, héritier très indépendant des legs artistiques champenois, bourguignon et germanique.

 

Paulette Choné
professeur émérite des universités

 

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Source: Commemorations Collection 2017

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