Page d'histoire : Jean-François Oëben Aix-la-Chapelle (Allemagne), 9 octobre 1721 - Paris, 21 janvier 1763
Le talent multiple de l’ébéniste Jean-François Oëben, dessinateur de formes, de décors et mécanicien ingénieux, explique un parcours hors-ligne. Ses chefs-d’œuvre nous mènent du style Louis XV aux débuts du néo-classicisme.
Originaire de Rhénanie, né à Heinsberg près d’Aix-la-Chapelle le 9 octobre 1721, c’est avant 1745 qu’il arrive à Paris et débute au faubourg Saint-Antoine. Son mariage en 1749 avec Françoise-Marguerite Vandercruse, sœur de Roger Vandercruse Lacroix (R.V.L.C.) l’introduit dans le milieu des grands ébénistes parisiens. Destiné à une grande carrière, il dispose dès 1751 de logement et atelier dans des lieux de création privilégiés de la Couronne, le Louvre, la manufacture royale des Gobelins et l’Arsenal. Il est alors reconnu, nommé en 1754 ébéniste du roi, année où il livre une commode pour l’appartement du Dauphin à Versailles. La commande du “ Bureau du roi ” couronne l’ascension six ans plus tard.
Dans les années 1754-1756, il réalise des meubles au style Louis XV assagi, aux formes pleines et très beaux galbes, des meubles aux programmes variés : commodes, secrétaires à abattant, bureaux et petits meubles. Ces derniers sont les plus nombreux dans sa production et les tables à transformation constituent sa grande spécialité, ainsi les tables à la Bourgogne et les tables mécaniques combinant coiffeuse et table à écrire aux lignes si conformes au goût de Madame de Pompadour. Sur ces meubles, Oëben développe d’incomparables tableaux de marqueteries, fleurs et feuillages en bouquets ou corbeilles d’osier, motifs géométriques à jeu de fond de cubes et losanges. Il opère l’accord parfait entre la forme, le décor de marqueterie et celui de bronze doré.
Vers 1760, avec la réaction néo-classique, Oëben conçoit la commode “ à la grecque ” au dessin en rupture avec l’esthétique Louis XV par la rigueur de la ligne et la sobriété du décor. Il est l’un des premiers ébénistes à recourir à l’acajou. Simultanément le secrétaire à abattant au caractère architectural prononcé, aux bronzes antiquisants tels que des têtes de bélier, des triglyphes, des frises de grecques ou d’entrelacs connaît un véritable succès. Nombre de modèles de bronze relèvent de la main d’Oëben qui associe les meilleurs fondeurs-ciseleurs du moment.
La même année 1760, sa passion des mécanismes et ses marqueteries de perfection le désignent pour exécuter le secrétaire à cylindre de Louis XV. Disparaissant le 21 janvier 1763 – jeune, âgé de 41 ans – Oëben le laisse inachevé. Riesener reprenant la direction de l’atelier – épousant sa veuve en 1767 – livrera l’exceptionnel et majestueux bureau en mai 1769.
L’inventaire après décès d’Oëben révèle un atelier regroupant douze établis attestant la très grande réussite de l’ébéniste. Celui-ci comptait parmi ses collaborateurs son frère Simon Oëben, le suédois Karl Peter Dahlström, le flamand Wynant Stylen pour la marqueterie, Leleu et Riesener.
Les commandes émanaient d’une nombreuse clientèle, de la famille royale à la bourgeoisie, comprenant la haute aristocratie, la haute finance ainsi que le Garde-Meuble de la Couronne. On y trouve des proches de Louis XV et de Madame de Pompadour, cliente enthousiaste d’Oëben auquel elle avait commandé tout son mobilier d’acajou.
L’influence d’Oëben sur ses contemporains s’avère très importante. Sa contribution à l’évolution qui conduira au style Louis XVI est essentielle.
Pierre-Xavier Hans
conservateur en chef au château de Versailles
Source: Commemorations Collection 2013