Page d'histoire : Un savant et un croyant : le père Pierre Teilhard de Chardin Sarcenat (Puy-de-Dôme), 1er mai 1881 - New York, 10 avril 1955

Pierre Teilhard de Chardin

À trois siècles d’intervalle, deux Français natifs d’Auvergne ont apporté à notre pays un incontestable rayonnement international qui ne se dément pas. Le premier, Blaise Pascal, est un génie scientifique, un homme d’une foi ardente et d’un zèle brûlant, invitant ceux qui doutent à faire le « pari » de l’existence de Dieu. Le second est Pierre Teilhard de Chardin, un jésuite français et un savant de notoriété internationale dans les domaines de la géologie et de la paléontologie.

Pierre Teilhard de Chardin a laissé une œuvre importante. Outre son contenu scientifique, celle-ci ouvre de larges perspectives philosophiques et théologiques. Ses écrits, abordant sous leur plus grand angle les questions posées par l’évolution du monde et de nos sociétés, ont toujours, grâce à leur hardiesse et à leur richesse d’expression, un retentissement considérable.

Le Phénomène humain, où la pensée de Teilhard est développée dans toute son ampleur, est, à ce jour, édité en près de vingt langues. Le Milieu divin peut être considéré comme un ouvrage de référence appartenant à la grande tradition mystique du christianisme.

De 1923 à 1945, au cours de plusieurs séjours, Teilhard a mené de fructueuses explorations en Chine où un ordre de mission du Muséum de Paris l’avait envoyé.

Pour mieux connaître ses travaux scientifiques, un colloque de bonne qualité a d’ailleurs été organisé récemment à Pékin, en octobre 2003. Des Chinois de terrain et de haut rang académique sont venus louer le travail du savant jésuite. Ce dernier, disent-ils, a réalisé une sorte de « pont » entre la culture occidentale et la culture orientale. Il a su former des collaborateurs chinois, à la différence d’autres savants étrangers trop dépendants d’organismes autonomes liés à leur propre pays d’origine.

Au fil des ans, dans ses lettres envoyées en Occident depuis la Chine, le savant jésuite se voit comme une sorte d’annonciateur des temps à venir. « Plus les années passent, plus je commence à croire que ma fonction aura simplement été d’être à l’image bien réduite du Baptiste, celui qui annonçait et appelait ce qui devait venir. Ou encore je soupçonne que ce qui m’est demandé est simplement d’aider une âme nouvelle à naître dans ce qui est déjà. Ce disant, je n’ai pas conscience de vouloir me dérober à une tâche. Mais je pense que lorsque le Seigneur veut faire apparaître une grande chose, il la fait sortir de nos efforts les plus simples, les moins calculés, – sans que nous nous en doutions. C’est l’histoire de tous les grands mouvements religieux et de toutes les découvertes. »

Le Père Teilhard est un expatrié perpétuel, par goût et sous la contrainte des autorités ecclésiales que son audace effraye. Cet homme de science et de foi est un chercheur passionné qui a dirigé de nombreuses fouilles à travers le monde. Ses divers travaux l’ont conduit à une constatation globale : la biosphère s’auto-organise dans une complexité croissante. Il en est arrivé à reconnaître trois évidences fondamentales au cœur des progrès de cette complexité : un plus grand nombre d’éléments différents, une organisation plus complexe de ces éléments et une unité fondamentale plus étroite sont la marque d’un progrès plus poussé. Ces évidences sont au cœur de sa perception du monde.

Ce religieux jésuite ne connaissait pas le mot de mondialisation mais il a annoncé la venue de ce processus unificateur de la planète à travers toute son œuvre. Sa vision du monde n’est pas d’abord utilitariste, mais irriguée par la présence de l’esprit dès l’origine. Elle repose sur une assise christique de l’origine à la fin. Cette source d’« amorisation » donne sens à toutes les transformations qui se succèdent dans un processus évolutif dont l’homme est la flèche et la conscience.

Car Teilhard est, indissociablement, un homme de science et un homme d’Église. Ce chercheur infatigable est aussi un prêtre convaincu et un religieux fidèle. Soucieux de sa liberté institutionnelle mais profondément attaché au Christ, il reste attaché aux trois vœux prononcés dans la Compagnie de Jésus : pauvreté, chasteté, obéissance.

Cet homme de terrain, des champs de bataille de la Grande Guerre, du Muséum national d’histoire naturelle de Paris à la Chine, de l’Inde à Java, de la Birmanie à l’Afrique du Sud, terminera sa vie en exil à New York, où il noue de nombreuses amitiés autour de la planète. Ce jésuite mystique est aussi le célébrant de la « Messe sur le Monde » et le spirituel aux accents prophétiques, passionnément attaché à ce qui fait grandir la Terre.

Cinquante ans après sa mort, Teilhard apparaît comme l’auteur d’une cosmologie nouvelle fondée sur une vision spirituelle et globale de l’évolution et de l’Homme. Beaucoup peuvent y trouver la source d’une profonde espérance.

Père Henri Madelin
jésuite
enseignant à Sciences Po Paris
rédacteur en chef de la revue Études

Source: Commemorations Collection 2005

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