Page d'histoire : Philippe de Champaigne Bruxelles, 26 mai 1602 - Paris, 12 août 1674

Portrait du Cardinal de Richelieu, vers 1640
Sorbonne, grand salon © Chancellerie des universités,
Sorbonne/ X. Richer - G. Trillard

Né le 26 mai 1602 à Bruxelles, Philippe de Champaigne appartenait à un milieu modeste : son père était sans doute tailleur. Il n'en reçut pas moins une instruction soignée. Il apprit le latin et son inventaire post mortem relèvera dans sa bibliothèque des livres en cette langue. Mais il étudie surtout la peinture et acquiert ce beau métier propre aux Pays-Bas espagnols, un faire souple, gras, ductile, qui lui vaudra une place à part parmi les peintres français contemporains. Ayant refusé, en 1621, d'aller travailler à Anvers chez Rubens (déjà son antipathie pour le baroque), il part pour Paris avec le paysagiste Jacques Fouquières qui lui apprend son art, un art qu'il pratiquera encore en 1656 pour le couvent parisien du Val de Grâce. Fixé dans le Quartier Latin, au Collège de Laon, où il lie amitié avec Poussin, il travaille chez les maniéristes Georges Lallemand et Nicolas Duchesne (dont il épousera la fille en 1628). Ayant regagné Bruxelles en 1627, il est rappelé à Paris, un an plus tard, par Claude Maugis, intendant des bâtiments de Marie de Médicis qui lui offre une situation exceptionnelle. Le voilà donc qui travaille au Palais du Luxembourg, au Carmel du Faubourg Saint-Jacques, chantiers préférés de la Reine Mère. Ayant reçu, en janvier 1629, ses " lettres de naturalité ", il quitte le service de la " grosse banquière balourde ", à laquelle il restera toujours attaché, pour celui de son fils et de Richelieu. Pour le premier, il peint, outre plusieurs portraits, une Réception du duc de Longueville dans l'ordre du Saint Esprit (1634) et un Vœu de Louis XIII (1638). Pour le second, il exécute des travaux au Palais Cardinal (aujourd'hui Palais Royal) et surtout de nombreuses effigies où, contrevenant à la tradition qui voulait que l'on représentât assis les hommes d'Eglise, il le montre le plus souvent debout, en homme d'Etat. Littéralement confisqué par ces deux clients et par leurs créatures (les ministres Bouthillier, Chavigny, Bullion et le chanoine Michel Le Masle), il ne retrouvera sa liberté qu'à leur mort, en 1642 et 1643.

Il est toujours employé par Anne d'Autriche au Palais Cardinal et au Val de Grâce, mais il semble n'avoir guère plu à Mazarin. Cet Italien pouvait-il apprécier un art qui cultivait, de même que celui de La Hire, Lesueur, Sébastien Bourdon, un atticisme élégant et sobre, à l'ordre du jour parisien entre 1643 et 1661. Champaigne est, en revanche, très goûté par une clientèle qui lui commande des portraits. Princes de l'Eglise (Camus), Haute Noblesse (La Trémoille), grands " commis " (Colbert, Charles Coiffier, Groulart de la Court), " corps de ville parisien ", et surtout " parlementaires " (Talon, Mesme, Bellièvre, Jérôme II Le Maistre), toute la Cour et la Ville posent devant lui et lui font peindre des figures où, refusant d'exprimer des expressions passagères, il veut saisir l'être profond de ses modèles. C'était substituer au portrait d'existence baroque un portrait permanent d'essence.

Autant que portraitiste, Champaigne est alors peintre sacré. Il œuvre pour les paroisses parisiennes (St-Séverin, St-Honoré, St-Gervais) et pour les ordres religieux (Oratoriens et même Jésuites). Il le fait surtout pour les Chartreux et pour Port-Royal. C'est en 1646 qu'il entre en relation avec la célèbre abbaye. À cette date, en effet, les " amis du dehors " lui commandent le portrait (posthume) de Saint-Cyran. Deux ans plus tard, il met ses filles pensionnaires à Port-Royal de Paris. Françoise y mourra en 1655 et Catherine y prendra le voile en 1657. Il peint les directeurs, les solitaires et même la grande abbesse Angélique Arnauld (1654). Il donne de nombreux tableaux pour les deux monastères de Paris et des Champs. Surtout, il exécutera en 1662 son chef d'œuvre l'Ex-Voto peint, en action de grâce, pour la guérison miraculeuse de sa fille, illustration parfaite de ce que l'on a appelé " l'École Française de spiritualité ".

Il est alors un personnage important. Il professe à l'Académie royale depuis 1653. Il a un atelier fort achalandé dont le principal élève est son neveu Jean-Baptiste (1631-1684), avec qui il décore l'appartement du Roi au château de Vincennes (1659) et celui du Grand Dauphin au château des Tuileries (1666). Sa renommée a franchi nos frontières. Le gouverneur des Pays-Bas espagnols, l'archiduc Léopold de Habsbourg, lui a commandé, en 1656, un tableau, de même que les brasseurs de la ville de Gand. Mais depuis 1661, son crédit diminue. Il ne peint plus guère que pour le milieu de Port-Royal. Comme Corneille vieillissant, il est passé de mode. C'est désormais le temps de Lebrun. Il vieillit paisiblement et mourra le 13 août 1674. Ce sera l'occasion pour les religieuses de Port-Royal de le mentionner dans leur obituaire comme " bon peintre et bon chrétien ".

Bernard Dorival
historien d'art professeur émérite à l'université Paris-Sorbonne

Source: Commemorations Collection 2002

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