Page d'histoire : Germain Boffrand Nantes, 16 mai 1667 - Paris, 19 mars 1754

Prise de vue extérieure du pavillon Boffrand,
Palais Soubise
(Archives nationales), Paris
© service photographique du CHAN

Après la mort de Jules Hardouin-Mansart en 1708, c’est Germain Boffrand qui incarne le mieux la vitalité de l’école française d’architecture, ses possibilités de renouvellement, sa place dans l’évolution du nouveau goût européen. Avec une souveraine aisance, il maintient l’impératif monumental face aux développements du décor « rocaille » qu’il souhaite cantonner à l’intérieur de l’édifice, où il le pratique d’ailleurs lui-même avec un art consommé. Son indépendance tient au fait qu’il ne travaille pas pour le roi de France, mais pour une clientèle d’amateurs éclairés qui accueillent avec faveur ses propositions novatrices. La souplesse et la commodité de ses plans et élévations sont en effet destinées à produire une architecture du plaisir de vivre.

Né à Nantes aux premières années du règne personnel de Louis XIV, et fils d’architecte, Boffrand fut introduit dans les milieux parisiens, ainsi qu’à la cour de Versailles, par son oncle le poète Philippe Quinault. Lettré, artiste, mais intéressé aussi par les procédés de construction, la coupe des pierres, la métallurgie et les nouvelles technologies (les projets de machine à vapeur pour l’élévation des eaux), il entre dans l’agence de Mansart dont il fut un collaborateur apprécié, à l’Orangerie de Versailles puis à la place Vendôme. Après avoir quitté les Bâtiments du roi en 1699, il chercha à Paris sa première clientèle. L’année suivante, il construisit l’hôtel Lebrun qui dresse encore rue du Cardinal-Lemoine sa masse monumentale soulignée d’une frise de triglyphes et coiffée d’un fronton, mais dépourvue de pilastres ou de colonnes, un parti conforme à la demeure d’un grand bourgeois, selon le code des convenances.

Le succès vient vite et lui vaut des commandes des princesses du sang et de princes étrangers, et il est reçu à l’Académie d’architecture dès 1709.

Paris lui doit nombre de ses plus beaux hôtels particuliers, dessinés avec autant de virtuosité que de diversité : le Petit-Luxembourg (1709) bâti pour la princesse Palatine, veuve du prince de Condé, l’hôtel Amelot (1710) à l’étonnante façade concave drapée de pilastres, rue Saint-Dominique, le palais de l’Arsenal avec sa mâle ordonnance couronnée de canons (1712), les hôtels de Torcy et de Seignelay (1713) dont les façades jumelles se dressent au-dessus du quai d’Orsay devenu Anatole-France.

Arrêtons-nous sur les modifications apportées en 1735 à l’hôtel de Soubise au Marais, à la demande du prince et de la princesse de Rohan-Soubise, aujourd’hui occupé par le centre historique des archives nationales. Ici, Boffrand a réalisé l’un des chefs-d’œuvre du siècle de Louis XV. La reprise de l’architecture extérieure de l’ancienne maison des Guise est discrète mais ingénieuse par l’addition, en position de rotule, d’un pavillon destiné à abriter les deux salons ovales superposés dévolus au prince et à la princesse. C’est une sorte de signal qui manifeste extérieurement l’originalité des deux appartements, décorés par les meilleurs ornemanistes, qui rivalisent de qualité avec ceux que Gabriel et Verberckt réalisent pour Louis XV à Versailles. Les deux salons ovales, dont les grandes baies s’inscrivent dans un jeu continu d’arcades, ont créé un modèle unanimement célébré, et maintes fois copié au XIXe siècle.

À Paris, Boffrand fait aussi acte d’urbaniste et d’ingénieur des ponts et chaussées, il élabore des projets pour restructurer et assainir le quartier des Halles, participe au concours pour la place Louis XV (de la Concorde) et programme une série de travaux dans les Hôpitaux, à la Salpêtrière, à Bicêtre, à l’Hôtel-Dieu. Le superbe Hôpital des Enfants Trouvés qu’il avait élevé dans l’île de la Cité a malheureusement été sacrifié à l’agrandissement du parvis Notre-Dame.

Sa renommée lui permet de bâtir hors des frontières, à la jonction de la France et de l’Empire, au cœur de l’Europe des Lumières. Le duc Léopold de Lorraine en fait son architecte et lui demande la reconstruction de son château de Lunéville (1708-1709), si dramatiquement ravagé par l’incendie de janvier 2003. Suivent le château de la Malgrange, celui de Commercy, ainsi que le château d’Haroué bâti pour le prince de Beauvau (1710), et de nombreux hôtels particuliers à Nancy. Le duc Max-Emmanuel de Bavière lui commande les plans d’un pavillon de chasse (Bouchefort), l’évêque de Würzburg des dessins pour son palais épiscopal.

Apprécié pour sa culture, son commerce agréable et sa force d’âme, Boffrand eut le bonheur de pouvoir publier ses œuvres, gravées dans un Livre d’architecture qui parut en 1745, et dans lequel il était conscient de délivrer son message. Son collègue Patte a fait ainsi son éloge : « Autant les idées de Boffrand étaient nobles et élevées, autant sa manière de penser était noble et désintéressée ».

Jean-Pierre Babelon
membre de l’Instit

Source: Commemorations Collection 2004

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