Page d'histoire : Création du Crapouillot Août 1915

Le Crapouillot : gazette poilue, le premier numéro, 1915.
© Bibliothèque nationale
de France

Le crapouillot est un surnom donné au mortier des tranchées utilisé par les soldats français en référence à sa forme aplatie, proche de celle d’un crapaud. Mais Le Crapouillot est surtout le titre d’un journal des tranchées, créé et rédigé par Jean Galtier-Boissière (1891-1966), une feuille très populaire au front, car elle cherche à donner une image réaliste des conditions de vie et de combat des soldats. Le Crapouillot est parfois appelé La Gazette poilue.

Les soldats immobilisés dans les tranchées entre deux attaques éprouvent le besoin de communiquer entre eux, de partager leurs expériences sans toutefois remettre en cause une guerre qu’ils estiment juste. Les journaux de tranchées naissent ainsi d’un besoin d’expression indépendant des circuits officiels. Les titres de ces organes plus ou moins éphémères, souvent fabriqués dans des conditions de fortune sont évocateurs : Le Poilu, La Marmite, L’Écho des dunes, L’Écho de l’Argonne, L’Écho des marmites, Le Ver luisant, Le Poilu, Face aux Boches, Le Pou, La Fourragère, La Mitraille, Tacatac-Teufteuf, etc. Alors que l’état-major était au départ assez hostile à ces publications, il est contraint de les autoriser, tout en les censurant, afin de permettre aux soldats d’exprimer leurs états d’âme. Les récits tournent autour de la vie de tous les jours, les rigueurs du front, la fraternité, la discipline et parfois la révolte contre des ordres ineptes ; la mort est toujours présente, l’arrière est détesté à cause des planqués, de la médiocrité des civils et du confort dont ils jouissent, mais il est également fascinant par les femmes, les parents et les enfants restés au village ; enfin, l’exaltation du sentiment national et la haine de l’autre, le « Boche », est toujours là. Dès que la guerre se termine, cette presse disparaît avec le retour des soldats à la vie civile. Seuls deux organes arrivent à se maintenir en changeant de formule, Le Canard enchaîné et Le Crapouillot, authentique journal de tranchées à son démarrage mais que son créateur, le caporal Jean Galtier-Boissière, réussit à faire imprimer à Paris.

Le premier numéro, qui paraît en août 1915, donne le ton de la revue : « Courage les civils ! » L’ironie fait la force du journal dont certains numéros sont caviardés par la censure. En 1919, le journal devient une revue littéraire et artistique d’avant-garde regroupant des écrivains non conformistes (Francis Carco, Pierre Mac Orlan, Francis Delaisi, Henri Béraud…) et des dessinateurs (Dunoyer de Segonzac, Jean Oberlé, Louis Touchagues, etc.). Les comptes rendus et les critiques sont souvent féroces. À partir de 1930, Le Crapouillot paraît sous la forme de numéros spéciaux : « La guerre inconnue », « Histoire de la IIIe République », « Les Deux cents familles », « Vraie et fausse noblesse », « Les fusillés pour l’exemple ». Jean Galtier-Boissière suspend la publication en 1939. Le Crapouillot reparaît en 1948. Il abandonne les arts et les lettres qui sont confiés au Petit Crapouillot. La revue alterne les dossiers sérieux et les sujets plus légers. En 1965, quelques mois avant sa mort, Jean Galtier-Boissière abandonne la direction à Jean-Jacques Pauvert puis, à partir de 1967, le journal passe de main en main. Les équipes dirigeantes d’extrême droite se succèdent à la tête de la revue. Les dossiers du Crapouillot tournent autour du thème « Tous pourris ! » Le journal, longtemps proche de la faillite, disparaît en 1996.

 

Patrick Eveno
professeur à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne

Source: Commemorations Collection 2015

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