Page d'histoire : Eugène-Gabriel-Victor Le Roy Hautefort, 29 novembre 1836 - Montignac, 5 mai 1907

Châtaignier à Perssamit (Dordogne) par Jean-Charles Duval
Périgueux, musée du Périgord
© RMN/Michèle Bellot

Au début du siècle passé, alors que la guerre n’avait pas fait mourir tant de jeunes paysans et qu’on n’imaginait pas l’actuelle désertion des campagnes, le genre du roman rustique eut sa vogue. Il décrivait un monde humble et rude, faisant vivre une province précise avec ses horizons, ses travaux, ses coutumes. Eugène Le Roy est peut-être parmi les auteurs des terroirs le moins oublié. C’est à l’une de ses oeuvres, Jacquou le croquant (1899), rééditée souvent et même transformée en téléfilm, qu’il doit le maintien de sa popularité. L’enracinement dans les paysages de la Dordogne et aussi le simplisme politique de cette épopée rurale ont fait de Jacquou le modèle d’une paysannerie de métayers ou de tout petits propriétaires, le héros d’une légende républicaine supposée prophétique et libératrice.

Comme tout romancier, Le Roy voulait ressembler un peu à ses personnages, au meunier républicain du Moulin du Frau (1891), au Jacquou qui mène une révolte de pauvres gens, au docteur Charbonnières, qui dans L’ennemi de la mort (oeuvre posthume parue en 1911), veut arracher les paysans de la Double aux fièvres des marais. En effet, le destin de Le Roy l’intègre fortement dans les passions de son temps. Il était né au château de Hautefort où son père était régisseur du comte de Damas. À la fin d’une enfance studieuse, les échos de la révolution de 1848 à Périgueux où il était collégien des Frères le firent rompre avec sa famille et tenter sa chance à Paris. Il ne réussit qu’à entrer dans l’armée en 1854, où il servit chasseur à cheval en Algérie. Libéré en 1860, il présente avec succès le concours des contributions et se trouve dès lors lancé dans une longue carrière de percepteur dans plusieurs cantons de la Dordogne puis à Bordeaux. Dans les affrontements contemporains, il s’affichait républicain et franc-maçon. Anticlérical, il s’était marié civilement avec une postière. Rebelle et timide, il refusait la Légion d’honneur et ne sortait guère de sa maison de Montignac.

C’est seulement parvenu à la retraite qu’il osa tenter l’écriture romanesque, ses textes paraissant d’abord en feuilletons puis, devant leur succès, en vrais livres bientôt connus jusqu’à Paris où Jacquou fut édité au début de l’année 1900. Malgré sa vision rectiligne de l’histoire, Le Roy savait nuancer les caractères et laissait deviner une nostalgie des anciennes campagnes. Son plus grand talent fut de faire entendre les conversations paysannes, de faire voir les paysages avec les mots précis et savoureux des champs, des bois et des usages des simples gens du Périgord.

Yves-Marie Bercé
correspondant de l’Institut
directeur honoraire de l’École nationale des chartes
professeur émérite à l’université de Paris IV-Sorbonne

Source: Commemorations Collection 2007

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