Page d'histoire : Jean-Sébastien Bach Eisenach (Thuringe), 21 mars 1685 - Leipzig (Saxe), 28 juillet 1750

Jean-Sébastien Bach par Elias Gottlob Haussmann, 1748

Lorsque naît Jean-Sébastien Bach, l'Allemagne, morcelée en quelque 350 unités territoriales, tente avec peine de se relever du désastre sans précédent de la guerre de Trente Ans. La tolérance religieuse y a acquis force de loi et, en ce temps où tout citoyen est "sociologiquement chrétien", c'est, au cœur du vieux pays, la pensée de Luther, bien plus que la tutelle de l'empereur, qui constitue le plus puissant ferment de cohésion nationale.

Issu d'une famille de musiciens fixée depuis un siècle en Thuringe, dernier fils du directeur de la musique à Eisenach, il n'a que neuf ans quand disparaissent sa mère, puis son père. Recueilli par un frère aîné à Ohrdruf, envoyé au lycée à Lüneburg, il devra renoncer aux études universitaires pour entrer de bonne heure dans la vie professionnelle. Après un bref séjour à Weimar comme violoniste-laquais, il est nommé à 18 ans, sans concours, organiste à Arnstadt. Quatre ans plus tard, il se rend à Mühlhausen, pour occuper un nouveau poste d'organiste. A compter de 1708, il se sédentarise pour ne plus exercer qu'en trois cités jusqu'à sa mort. Weimar, d'abord, où il revient comme organiste de la cour et musicien de la chambre, puis maître de concerts de la chapelle ducale ; Coethen, ensuite (1717), comme capellmeister du prince ; Leipzig, enfin (1723), en qualité de cantor de Saint-Thomas et directeur de la musique de la ville. Sa notoriété n'aura cessé de croître, et le petit orphelin thuringien finira reçu en prince de la musique par Frédéric II de Prusse, à Potsdam. L'irrésistible ascension se poursuivra en ses fils, puisque le dernier, Johann Christian, établi à Londres où Gainsborough fait son portrait, enseigne la musique aux enfants royaux.

Bach doit l'essentiel de sa formation à une boulimie de travail que nourrit une curiosité sans limites pour toutes les musiques, mais aussi pour la théologie, la philosophie ou l'acoustique. Avide de rencontrer ses pairs, il entreprend à vingt ans le voyage de Lubeck, à pied, pour écouter le vieux maître Buxtehude, se fait plus tard applaudir à Hambourg, respecter à Berlin, fréquente l'opéra à Dresde. Pour son usage, il prend copie des œuvres des maîtres français, transcrit les concertos italiens, lit, copie, fait exécuter toute musique de qualité. Cet autodidacte assemble une culture encyclopédique, qui s'épanouit dans son enseignement et se manifeste dans la pratique, puisque, maître absolu sur l'orgue et le clavecin, il est d'abord violoniste et joue admirablement de l'alto, du violoncelle, de la viole de gambe, de la flûte, du hautbois et sans doute aussi, du luth, connaissant mieux que quiconque les techniques d'exécution musicale et de fabrication des instruments.

Sa trajectoire créatrice n'est pas moins impressionnante. Au fil de ses activités professionnelles, il se consacre à l'orgue, avec les Chorals, les Toccatas ou Préludes et Fugues, et au clavecin, avec le Clavier bien tempéré, puis aborde la musique vocale ; aux musiciens de premier plan qu'il dirige à Coethen, il destine suites, sonates et concertos pour divers instruments, dont les Concertos brandebourgeois ; à Leipzig, ce sera la floraison de quelque trois cents cantates dominicales, les Passions, selon saint Matthieu et selon saint Jean, les oratorios, la Messe en si, mais aussi des concertos, divertissements et cantates profanes dans l'exercice de ses fonctions municipales. Écrivant moins en ses dernières années, il médite des œuvres de haute spéculation, Variations Goldberg, Offrande musicale ou Art de la fugue. Toujours "à la gloire de Dieu seul" et "à l'intention du prochain".

Le jeune compositeur se met d'abord à l'école des maîtres allemands, Pachelbel au Centre, Boehm et Buxtehude au Nord, emprunte à Lully la majesté des morceaux d'apparat et à Grigny la subtilité de l'ornementation, avant de trouver dans la musique de Frescobaldi ou de Vivaldi la plasticité, la clarté et l'élégance formelle dont il fera son miel. Fondé sur les vénérables traditions léguées par la Renaissance et le Moyen Âge, son art converge vers la plus étonnante synthèse des divers courants de la pensée musicale du passé et du présent, dans l'élaboration d'un contrepoint expressif d'une densité et d'une complexité sans égales, en un style immédiatement identifiable.

Moins célèbre en son temps que ses illustres contemporains, Vivaldi ou Haendel, Rameau ou Telemann, Bach n'en est pas moins admiré par les musiciens et amateurs. Quoique peu éditées - la plus grande part de sa production ayant vocation fonctionnelle -, ses œuvres circulent en de très nombreuses copies ; et, contrairement aux idées reçues, jamais sa musique ne subira d'éclipse, ses fils, sa vaste fratrie et le réseau des disciples et élèves entretenant la flamme. Dès le XVIIIe siècle finissant, Mozart le vénère et Beethoven s'en nourrit, qui le nommera "le père originel de la musique". À partir de 1800, ses partitions sont publiées dans l'Europe entière et, en 1829, le tout jeune Mendelssohn dirige en concert, à Berlin, la Passion selon saint Matthieu, pour la première fois depuis l'époque du compositeur. Schumann, Chopin, Liszt, Brahms, Reger, puis Schoenberg et les Viennois, Boulez et les post-sériels, tous recueillent l'héritage d'une pensée reconnue comme fondatrice. Deux cent cinquante ans après sa mort, les mélomanes du monde entier, formés par la radio et le disque à la musique de Bach, y puisent force vitale et équilibre, élan spirituel et sérénité.

Gilles Cantagrel
musicologue

Source: Commemorations Collection 2000

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