Page d'histoire : Fondation de l'Ecole Freudienne de Paris 21 juin 1964

Le dimanche 21 juin au soir, avenue de l’Observatoire à Paris, dans le grand salon de l’appartement du Dr François Perrier, cinquante psychanalystes sont debout, rassemblés autour d’une table basse sur laquelle est posé un gros magnétophone. Tous retiennent leur souffle pour entendre une voix qui sort de l’appareil. C’est une voix traînante et solennelle qui proclame « Je fonde, aussi seul que je l’ai toujours été dans ma relation à la cause psychanalytique, l’École Française de Psychanalyse… » Cette voix est celle de Jacques Lacan. C’est ainsi, sous cette forme inouïe et théâtrale, que Lacan fonde l’École Française de Psychanalyse, rebaptisée aussitôt École Freudienne de Paris, institution qui n’aura que seize ans d’existence (1964-1980), mais une portée révolutionnaire dans l’histoire de la psychanalyse.

Mais revenons à notre soirée. Pendant que la bande magnétique se déroulait, se produisit soudain, au fond du salon, un mouvement dans l’assistance. Le Maître en personne venait d’entrer et de s’asseoir à l’arrière de la salle. Une fois le message terminé, après vingt minutes d’audition, Lacan s’avança au milieu du groupe et devant un auditoire déconcerté, il se mit à commenter l’acte de fondation que l’on venait d’entendre. Qu’a-t-il bien pu dire à ce moment ? On peut imaginer que le Maître souligna, en cinq traits, l’originalité de la naissante École, la démarquant ainsi de la très officielle Association Psychanalytique Internationale.

Quelle était cette originalité ? Schématiquement :
L’École n’imposera pas à celui qui veut se former comme psychanalyste le nom d’un formateur, le postulant choisira lui-même son analyste didacticien ; l’École n’imposera pas aux praticiens la durée de 45 minutes de la séance d’analyse ; l’École ouvrira ses portes non seulement aux psychanalystes, mais à tous les intellectuels qui seront prêts à contribuer au développement de la psychanalyse ; le futur membre ne s’y inscrira pas à titre individuel, mais y adhérera en faisant partie d’un petit groupe de travail ; enfin, l’École n’adoptera pas une structure pyramidale, mais collégiale où les membres échangeront périodiquement leurs rôles de responsables et d’administrés.

Mais qui était Lacan et pourquoi a-t-il eu besoin de fonder l’École Freudienne de Paris ? Jacques Lacan (Paris 1901-1981) fut un brillant psychiatre et l’un des plus éminents psychanalystes du XXe siècle. Maître incomparable de l’enseignement oral, il a entraîné dans son sillage plusieurs générations de psychanalystes. Sa passion pour le retour aux sources de la pensée freudienne, sa volonté infatigable de tenir un enseignement hebdomadaire pendant 30 ans et surtout sa pratique analytique hétérodoxe, l’ont rendu inconciliable avec les standards officiels. On comprend pourquoi Lacan ne pouvait que créer un lieu de rassemblement de tous ceux qui, portés par sa rigueur et son génie inventif, voulaient prendre une part active à la renaissance de la psychanalyse.

Durant seize ans, l’École a connu une expansion accélérée du nombre de ses membres et du volume de travail qui s’y produisit. En janvier 1980, affaibli par la maladie, Lacan demanda la dissolution de l’École. En commémorant le 50e anniversaire de sa création, nous réalisons que l’âme de l’École Freudienne restera vivante aussi longtemps qu’existeront des psychanalystes dont l’action est vivifiée par l’œuvre de Jacques Lacan.

Juan-David Nasio
psychiatre, psychanalyste
membre de l’ex-École Freudienne de Paris

Voir Célébrations nationales 2003

Source: Commemorations Collection 2014

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