Page d'histoire : Edgard Varèse Paris, 22 décembre 1883 - New York, 6 novembre 1965

En 1937, Edgard Varèse déclarait : « Un artiste n’est jamais un précurseur : il ne fait que refléter son temps, et le graver dans l’Histoire. » Stimulé par les découvertes scientifiques et technologiques de son époque, il appela de ses voeux un art-science. Celui qui déclarait composer avec des rythmes, des fréquences et des intensités a largement contribué à engager la musique vers de nouveaux paradigmes, notamment la synthèse sonore et la projection du son dans l’espace.

Bien que né à Paris en 1883, puis naturalisé américain en 1927, Edgard Varèse se considéra toute sa vie comme bourguignon en souvenir de son enfance passée chez son oncle maternel au village du Villars près de Tournus. En 1892, il suit ses parents qui s’installent à Turin. Malgré l’opposition farouche d’un père ingénieur qui souhaitait que son fils suive la même voie que lui, il s’initie à la musique en autodidacte. C’est seulement à l’âge de dix-sept ans qu’il put prendre des leçons d’harmonie et de contrepoint avec Giovanni Bolzoni, directeur du conservatoire de Turin.

Après une violente dispute avec son père, Varèse décide de regagner Paris en 1903 afin de poursuivre ses études musicales à la Schola Cantorum. En 1905, Gabriel Fauré l’admet au Conservatoire de Paris, mais ce nonconformiste en sera exclu deux ans plus tard. Pendant ses années de formation, sa curiosité intellectuelle lui fait découvrir la Théorie physiologique de la musique fondée sur l’étude des sensations auditives du célèbre savant Hermann von Helmholtz, ouvrage qui joue un rôle fondateur de son esthétique. C’est une période d’intense activité musicale pendant laquelle une quinzaine d’oeuvres voient le jour.

En 1907, Varèse s’installe à Berlin. Les échanges intellectuels avec le pianiste et compositeur Ferruccio Busoni auront une grande influence sur lui. Au cours des six années berlinoises naissent le poème symphonique Bourgogne, dont la création fut l’occasion du premier scandale d’une longue série, et le projet d’opéra OEdipus und die Sphinx sur un livret d’Hugo von Hofmannsthal. Varèse se lance dans une carrière de chef d’orchestre en dirigeant la première audition du Martyre de saint Sébastien de Debussy en janvier 1914 à Prague. Mais la déclaration de guerre interrompt tousses projets. Mobilisé en avril 1915, il est réformé au bout de six mois pour une double pneumonie. La plupart de ses manuscrits, laissés à Berlin dans un entrepôt, sont détruits dans un incendie. Sans espoir de pouvoir continuer ses activités musicales, le jeune compositeur décide de tenter sa chance aux États-Unis.

Varèse arrive à New York le 29 décembre 1915. Très vite il se lie d’amitié avec des artistes et des écrivains tels que Marcel Duchamp, Man Ray, Albert Gleize, Francis Picabia, Joseph Stella et Louise Norton (qui deviendra son épouse en 1922). En avril 1917, son interprétation de la Grande messe des morts de Berlioz à l’hippodrome de New York obtient un triomphe. Sa volonté de promouvoir la musique contemporaine l’amène à créer le New Symphony Orchestra, mais la pression des musiciens, qui désiraient un répertoire plus consensuel, le pousse à démissionner. En 1921, il fonde, avec le harpiste Carlos Salzedo, l’International Composer’s Guild. Cinquante-six compositeurs de quatorze nationalités différentes furent joués pendant les six années d’activité de l’ICG. Cette période extrêmement féconde voit naître Amériques (1918-1921), Offrandes (1921-1922), Hyperprism (1922-1923), Octandre (1923-1924), Intégrales (1924-1925), Arcana (1925-1927) et Ionisation (1930-1931), première oeuvre occidentale pour percussions seules, qui aura une influence considérable sur de nombreux compositeurs de John Cage à Frank Zappa.

Dès les années 1920, Varèse expérimente les possibilités des instruments électroniques avec René Bertrand, inventeur du dynaphone. En 1933, Léon Theremin élabore, sur ses spécifications, deux instruments électroniques destinés à Ecuatorial (1932-1934). En 1936, il compose Densité 21,5 pour le flûtiste Georges Barrère qui avait fait construire un instrument en platine par les ingénieurs de la Western Union. Entre 1932 et 1936, Varèse présente des dossiers de bourse à la fondation Guggenheim. Il entre en contact avec Harvey Fletcher, directeur de recherche en acoustique à la Western Union, souhaitant travailler dans son laboratoire. Mais dans cette période de dépression économique, tous ces projets de collaboration avec des scientifiques se heurtent à un scepticisme obtus. Varèse traverse alors une période de crise créative et de dépression. Attiré par la proximité du désert, le compositeur solitaire se retire à Santa Fe (Nouveau-Mexique) où il tente de composer Espace, mais détruit la nuit ce qui a été écrit le jour et vice versa.

L’après-guerre marque pour Varèse le début d’un renouveau. En 1947, il termine Étude pour Espace. L’année 1950 voit la publication du premier microsillon de l’intégrale de son oeuvre dirigée par Frederic Waldman. Les progrès des technologies d’enregistrement lui permettent d’envisager ce qu’il nomme le « son organisé », une musique conçue uniquement sur bande magnétique. Il compose Déserts pour quinze instruments, percussion et bande. L’oeuvre, créée le 2 décembre 1954 au théâtre des Champs-Élysées sous la direction d’Hermann Scherchen, provoque l’un des plus grands scandales du siècle. Néanmoins, Varèse, à plus de soixante dix ans, pose les bases d’une forme d’expression qui fera florès dès les années suivantes.

Entrevoyant dans la musique pour le film de nouvelles possibilités, il collabore avec le réalisateur Thomas Bouchard pour la Procession de Vergès, musique pour bande destinée au film Around and About Juan Miró (1955). Le Corbusier (1) fait appel à lui pour composer l’environnement sonore du pavillon Philips de l’Exposition universelle de Bruxelles en 1958. Varèse réalise enfin son rêve de musique spatiale en diffusant les sons par 425 haut-parleurs répartis à l’intérieur du pavillon. Entendu par plus d’un million de visiteurs, le Poème électronique fut la première installation multimédia de l’Histoire. Signe d’une reconnaissance internationale, sa musique est jouée et enregistrée par les plus grands chefs tels que Pierre Boulez, Robert Craft et Leonard Bernstein. Celui qui eut parmi ses élèves Colin McPhee, André Jolivet et Chou Wen-Chung, ne fit pas d’émules. Néanmoins, tous les compositeurs qui ont compté au cours du dernier demi-siècle doivent quelque chose à Varèse.

 

 Philippe Lalitte
maître de conférences HDR en musicologie à l’université de Bourgogne
chercheur au centre Georges-Chevrier (UMR CNRS 7366) et au Laboratoire d’étude
de l’apprentissage et du développement (UMR CNRS 5022)

Source: Commemorations Collection 2015

Personnes :

Lalitte, Philippe

Thèmes :

Musique

Liens