Page d'histoire : Henri Becquerel Paris, 15 décembre 1852 - Le Croisic, 25 août 1908

Henri Becquerel, jeune, photographie
Atelier Nadar
Paris, Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, archives photographiques
© CMN

Le lundi 24 février 1896, dans une brève communication à l’Académie des sciences, Henri Becquerel fait part à  ses collègues d’une observation très attendue. Il a soigneusement enveloppé dans du carton noir des plaques photographiques, il les a recouvertes de cristaux de sulfate d’uranium et de potassium et a exposé le tout au soleil sur le bord de sa fenêtre. Cinq heures plus tard, en développant ses plaques, Becquerel a découvert qu’elles étaient impressionnées. Un rayonnement invisible est capable de traverser le carton. Si l’on interpose des objets métalliques entre le sel d’uranium et la plaque, on voit leur silhouette se dessiner sur les clichés.

Henri Becquerel, né en 1852, entré à Polytechnique en 1872, est membre de l’Académie des sciences depuis 1889. C’est un homme modeste et doux. La communauté scientifique apprécie sa culture et la finesse de son jugement, mais on voit en lui un continuateur plutôt qu’un créateur. Il est le troisième membre de la dynastie des Becquerel qui, depuis le début du siècle,  se succèdent tant à l’Académie qu’au Muséum. Son grand-père, Antoine-César (1788-1878), avait laissé une oeuvre considérable. S’étant pris de passion pour la phosphorescence lors d’un voyage à Venise, il avait fait collection de minéraux phosphorescents. Son père, Alexandre-Edmond (1820-1891), avait beaucoup étudié la lumière. Il était un maître en matière de phosphorescence, notamment des sels d’uranium, dont il possédait une grande quantité.

Lorsqu’elle prend connaissance des observations de Becquerel, l’Académie est en grande effervescence. Le lundi 20 janvier, en effet, en fin de séance, Arsène d’Arsonval a fait découvrir à ses collègues une photographie inimaginable. On y voit les os à l’intérieur d’une main vivante ! Le cliché a été obtenu par Wilhelm Röntgen à Würtzburg. La main est celle de sa femme.

C’est quelques mois plus tôt que Röntgen a découvert ces rayonnements invisibles et pénétrants, qu’il nomme de la lettre de l’inconnu, « X-strahlen », les rayons X. Il s’est intéressé aux rayons cathodiques qui se propagent dans le tube de Crookes, ancêtre des tubes de télévision. Le 8 novembre 1895, il étudie l’impact des rayons cathodiques sur le verre du tube, enveloppé de carton noir. Il y a sur la table un écran fluorescent. À sa stupéfaction, à chaque décharge du tube cet écran devient luminescent. Un rayonnement invisible inconnu semble filtrer au travers du carton noir pour aller exciter la fluorescence de l’écran. En interposant sa main, il voit se dessiner les os de ses phalanges.

Becquerel s’interroge avec Poincaré sur le point d’émission de ces rayons invisibles. Poincaré trouve la réponse dans l’article de Röntgen : L’endroit de la paroi qui a la plus vive fluorescence doit être considéré comme le centre principal d’où les rayons X rayonnent dans toutes les directions. Y aurait-il alors un lien entre les rayons X et la fluorescence ?

Becquerel, mieux placé que quiconque pour mener à bien cette analyse, tente, dès le lendemain, de vérifier si les substances fluorescentes émettent des rayons X. Ses premiers essais sont des échecs, mais lorsqu’il utilise des sels d’uranium, tout confirme l’idée qu’ils émettent des rayons X pendant leur  fluorescence !

En fait, sa découverte ne vient qu’une semaine plus tard ! Becquerel veut répéter son expérience le 26 février. Hélas ! Le soleil n’est pas au rendezvous. Il abandonne ses échantillons dans un tiroir. Avant de reprendre ses
travaux, le dimanche 1er mars, il développe par acquit de conscience ses plaques photographiques, dont tout laisse à penser qu’elles sont vierges, l’uranium étant à l’abri du soleil. À sa stupéfaction, elles sont, au contraire, fortement impressionnées ! Le lundi 2 mars, il réserve cette surprise à ses collègues : l’impression de ses plaques est indépendante de la fluorescence de l’uranium. Le sel d’uranium émet des rayons pénétrants qu’il ait ou non été exposé au soleil.

Il essaie une série de cristaux. Seuls ceux qui contiennent de l’uranium émettent des rayonnements invisibles. Les composés d’uranium non fluorescents donnent le même effet. Le 18 mai, Becquerel annonce que la source de ces « rayons uraniques », c’est l’uranium lui-même.

À sept notes de 1896, succèdent deux autres en 1897, puis pratiquement plus rien. Becquerel perd progressivement de l’intérêt pour ses rayons. Les rayons X occupent toute la scène. Ils donnent de meilleures images et sont plus faciles à manipuler que l’uranium, une rareté.

Le deuxième souffle vient à partir de 1898, avec les travaux de Pierre et Marie Curie. La découverte que le thorium émet aussi des rayons pénétrants, puis la découverte du polonium et du radium, dont les rayonnements sont un million de fois plus intenses que ceux de l’uranium, donnent une impulsion nouvelle à la radioactivité. Becquerel se lie aux Curie, qui lui prêtent du radium, avec lequel il fait de nouvelles expériences.

Les découvertes se succèdent. Pierre Curie s’aperçoit que l’énergie dégagée est considérable. À masse égale, le radium dégage une énergie colossale, un million de fois supérieure à toute énergie de combustion connue ! C’est la première reconnaissance de l’énergie nucléaire. En 1900, Rutherford et Soddy identifient la composante chargée positivement, les rayons alfa, comme des noyaux d’hélium ionisés ; ceux-ci fourniront des sondes privilégiées de la structure intime de la matière.

Rutherford comprend que le phénomène de radioactivité provient d’une transmutation de l’atome lui-même, qui passe d’une espèce chimique à une autre. C’est ainsi que l’uranium 238, après l’émission d’électrons et de deux particules alfa, se transforme en radium 226, de durée de vie de 1622 ans, isolé par Pierre et Marie Curie.

En 1903, le prix Nobel de physique est décerné pour moitié à Henri Becquerel, pour moitié à Pierre et Marie Curie, pour la découverte de la radioactivité. Becquerel avait découvert ce phénomène majeur, les Curie en avaient montré l’importance et l’étendue.

Henri Becquerel est mort d’un accident cardio-vasculaire au Croisic, le 25 août 1908, à l’âge de 56 ans.

Le destin a placé Henri Becquerel à une charnière de l’histoire. La découverte de la radioactivité est un tournant car elle ouvre la voie, insoupçonnée, de la physique et de l’énergie nucléaires. À l’aube du XXe siècle, elle va profondément influencer le sort scientifique, technologique et politique du monde. En 1911, Rutherford établit l’existence des noyaux atomiques. En 1934, Fermi découvre la capture des neutrons par les noyaux. En décembre 1938, Hahn et Strassman découvrent la fission nucléaire. Frédéric Joliot, au début de 1939, comprend les réactions en chaîne, la possibilité de produire l’énergie nucléaire et de fabriquer des armes nucléaires ; il en dépose les brevets en 1939, avec Halban et Kowarski. En 1942, le premier réacteur nucléaire, construit par Fermi, diverge à Chicago.

 

Jean-Louis Basdevant
professeur honoraire à l’École polytechnique
directeur de recherche honoraire au CNRS

Source: Commemorations Collection 2008

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