Page d'histoire : Jean-Henri Riesener Gladbeck (près d'Essen), 1734 - Paris, 6 janvier 1806

Huile sur toile d'Antoine Vestier
1786
Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon
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Jean-Henri Riesener fut, avec Boulle, le seul ébéniste de l’Ancien Régime dont le nom était encore connu au XIXe siècle, de Balzac par exemple. Comme beaucoup d’ébénistes parisiens des XVIIe et XVIIIe siècles, c’était un émigré -rhénan. Fils d’un menuisier en sièges, il naquit à Gladbeck (Rhénanie du Nord – Westphalie). Il fut formé à Paris dans les années 1750 par son compatriote bien connu, Jean-François Oeben, fournisseur de la marquise de Pompadour, installé à l’Arsenal. D’Oeben, Riesener retint notamment le goût des meubles mécaniques et l’art de la marqueterie de fleurs. Il ne devait quitter l’Arsenal qu’à l’extrême fin de sa vie. En effet, après la mort d’Oeben, il dirigea son atelier grâce à l’appui de sa veuve, sœur de l’ébéniste Roger Vandercruse La Croix, qu’il épousa en 1767 et dont il eut un fils, le peintre portraitiste Henri-François Riesener. Jean-Henri devint maître en 1769, année durant laquelle il livra à Versailles le célèbre bureau à cylindre de Louis XV commencé par Oeben en 1760 (Versailles). En 1774, il succéda à Gilles Joubert comme ébéniste du Garde-Meuble de la Couronne, fonction qu’il remplit avec succès jusqu’en 1784. Il fut alors remplacé par Guillaume Benneman, en partie pour des raisons d’économie, mais continua à travailler pour Marie-Antoinette. Il jouissait aussi d’une abondante clientèle privée. La Révolution brisa la carrière de Riesener dont les dernières années pâtirent de difficultés financières.

Riesener était comme Boulle ou Cressent un véritable créateur de formes et de décors. Il a forgé un style qui lui est propre et qui est immédiatement identifiable. La répartition des surfaces en trois compartiments constitue l’un de ses traits les plus caractéristiques, qu’il s’agisse de façades de commodes, de cylindres de bureaux ou de ceintures de tables ; le compartiment central est toujours fortement marqué. Riesener a exécuté parallèlement des meubles sobrement couverts d’un placage de magnifiques acajous et des meubles très décorés. Dans le domaine du décor, il s’est d’abord servi d’une mosaïque de « rosettes » inscrites dans des octogones, qu’il a remplacées vers 1784 par un -frisage de losanges en sycomore teint appelé à l’époque « satiné gris », ces différents fonds encadrant d’admirables tableaux en marqueterie vases de fleurs ou trophées. Les meubles de Riesener sont accompagnés de bronzes dorés éblouissants par la qualité de la ciselure, exécutés sous sa direction, sur lesquels les motifs néoclassiques à la mode sont tempérés par l’abondance des chutes et des guirlandes de fleurs.

La production subsistant de Riesener est considérable et, bien des meubles royaux ayant été vendus pendant la Révolution, enorgueillit les musées du monde entier. Il faudrait citer beaucoup d’œuvres majeures, telles les deux plus monumentales : la commode de la chambre des petits appartements de Louis XVI à Versailles (1775 ; Chantilly), rythmée par quatre cariatides en bronze, sur laquelle l’ébéniste dut remplacer le décor monarchique sous la Révolution, et l’armoire à bijoux de la comtesse de Provence (vers 1780 ; coll. de S. M. la reine d’Angleterre), surmontée d’un groupe d’enfants en bronze soutenant les armes de la princesse, que George IV acheta en 1825.

Ce fut pour Marie-Antoinette que Riesener créa ses œuvres les plus harmonieuses ou les plus audacieuses, dans les dernières années de l’Ancien Régime : l’ensemble de meubles en « satiné gris », si élégants, de ses petits appartements des Tuileries (1784), dont une commode, un bureau à cylindre et une table de nuit sont conservés au Louvre et une table de toilette au Petit Trianon ; les trois commodes et les deux encoignures en acajou, majestueuses, exécutées pour son salon des nobles de Versailles (1786), qui ont en partie repris leur place ; la commode et le secrétaire en laque du Japon, matériau rarement utilisé par Riesener, de ses appartements de Saint-Cloud (New York) ; ou, plus précieux encore, le bureau à cylindre et la table à ouvrage plaqués de losanges de nacre, qui ont aussi retrouvé leur destination, le boudoir de la Reine à Fontainebleau.

Les meubles de Riesener influenceront la production néo-Louis XVI du second Empire.

Par la créativité de son œuvre comme par son rôle historique Riesener occupe une place éminente dans l’évolution du mobilier français.

Daniel Alcouffe
conservateur général honoraire au musée du Louvre

Source: Commemorations Collection 2006

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