Page d'histoire : Mort accidentelle d'Albert Camus 4 janvier 1960

L’annonce de la mort d’Albert Camus dans un accident de voiture provoqua une onde de choc : l’enfant pauvre d’Alger devenu, en 1957, l’un des plus jeunes prix Nobel de littérature n’avait certes pas que des amis ; beaucoup d’intellectuels français le maintenaient même dans un ostracisme brutal, mâtiné d’un mépris qui aura la vie dure. Mais le salut respectueux de la plupart d’entre eux rejoignit la douleur de nombreux anonymes qui, même sans l’avoir connu, eurent le sentiment de perdre un compagnon d’humanité, et la ferveur de ceux qui, bien au-delà des frontières de la France, comptaient depuis longtemps sur cette voix fraternelle qui portait haut le cri de liberté.

Journaliste et philosophe, qui se pensait avant tout comme écrivain, dévoré par la passion du théâtre – dont il pratiquait tous les métiers –, Camus n’était jamais aussi heureux que dans un travail d’équipe. Au-delà, sa solidarité, concrète, allait aux opprimés, aux humiliés, aux victimes d’une Histoire où les révolutions, accoucheuses de totalitarismes, mettent en place une civilisation de la terreur et de la mort, à toutes les victimes, en particulier de la guerre d’Algérie qui le hantait comme l’échec d’une utopie : la fin de la colonisation et de la coexistence pacifique de deux peuples sur une même terre. Mais, pour lui, « solidaire » était indissociable de « solitaire » : solitude féconde de l’artiste qui doit préserver sa liberté, solitude heureuse de l’être humain dans une nature méditerranéenne à l’inépuisable générosité. Car c’était aussi un amoureux de la vie, en quête du bonheur.

De L’Envers et l’endroit au Premier Homme (le roman inachevé qui a fait découvrir en 1994 un nouveau Camus), sa création a emprunté des voies multiples – romans, pièces de théâtre, essais – balisées par des cycles, sortes de figures imposées par une pensée exigeante de l’homme, de sa condition et de sa responsabilité : l’absurde, dans lequel on ne saurait l’enfermer, tant il est lié à son corollaire, la révolte, et puis l’amour (le cycle inachevé). Partout éclate la puissance de l’écriture, dans son constant renouvellement et dans sa force de suggestion.

Par cette force, en même temps que par sa lucidité, son courage et son exigence morale, Albert Camus dépasse les frontières de l’espace et du temps.

Agnès Spiquel
professeur de littérature française à l’université de Valenciennes
présidente de la Société des Études camusiennes

Source: Commemorations Collection 2010

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