Page d'histoire : Jean Genet Paris, 19 décembre 1910 - Paris, 15 avril 1986

Il y a sans doute quelque paradoxe à célébrer un écrivain qui affirmait n’avoir « jamais cherché à faire partie de la littérature française ». Mais, en littérature, rien n’est jamais simple. Remerciant le fonctionnaire de la préfecture qui lui a prodigué du papier dans la cellule de prison où il rédige ses premiers livres, Genet lui écrit en 1944 : « J’aurai voulu donner à la France quelques-uns de ses plus beaux livres ». Et de cette nation dont il s’est senti rejeté et pour laquelle il dit avoir nourri tant d’aversion, ne donne-t-il pas, au cœur de son œuvre, l’une de ses plus belles définitions : « La France est une émotion qui se poursuit d’artistes en artistes – sortes de neurones de relais… »

Que son œuvre participe de cette « émotion » qui fait la France, qu’elle figure au sein de la très particulière constellation qu’il déploie (Ronsard, Mallarmé, Proust – ajoutons-y l’astre Dostoïevski), Genet lui-même n’en doutait pas. Qui doute encore que l’auteur du Journal du voleur n’ait pris place parmi les auteurs majeurs du XXe siècle ?

Peu d’œuvres pourtant étaient aussi improbables : écrits par un délinquant au bord du gouffre, menacé de réclusion à perpétuité pour « vols en récidive », deux romans ou fictions autobiographiques, Notre-Dame-des-Fleurs et Miracle de la rose font basculer le destin de l’ancien pupille de l’Assistance publique qui n’a connu l’école que jusqu’à douze ans et qui rêvait du bagne comme d’un accomplissement. Il est encore en prison lorsque Cocteau, en 1943, le présente aux juges comme « le plus grand écrivain de l’époque moderne ». À peine trois ans plus tard, Sartre déclare qu’« il n’y a qu’un écrivain génial en France, c’est Genet » et Louis Jouvet crée Les Bonnes au Théâtre de l’Athénée.

Du poème Le Condamné à mort, composé à Fresnes en 1942, jusqu’au grand récit presque apaisé, Un Captif amoureux, qui clôt en 1986 son œuvre, Genet sera resté fidèle à l’enfant abandonné, banni par Dieu et la société : en usant de la littérature comme d’une arme, en mobilisant les ressources d’une écriture chatoyante et d’un immense savoir rhétorique qui embrasse toutes les langues françaises, depuis celle de la Renaissance jusqu’à l’argot parisien, il y fait entendre une voix inouïe, non seulement celle du « voleur, homosexuel et traître » qu’il s’est voulu, mais également, celle des exclus de tous bords, enfants des pénitenciers, colons algériens, immigrés de France, Noirs d’Amérique, combattants palestiniens dont il dit et enchante la révolte.

Albert Dichy
directeur littéraire de l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC)

Pour aller plus loin...

Le journaliste et essayiste Bertrand Poirot-Delpech a réalisé en 1982 un entretien avec Jean Genet 

Source: Commemorations Collection 2010

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