Page d'histoire : Julien Benda Paris, 26 décembre 1867 - Fontenay-aux-Roses, 7 juin 1956

Julien Benda était de la même génération qu'André Gide, Paul Claudel, Paul Valéry, Marcel Proust et Charles Péguy. Or il se révéla, comme disait Gide, « sur le tard », devint un maître à penser de l’entre-deux-guerres après La Trahison des clercs (1927), et survécut à tous. Scientifique de formation, démissionnaire de l’École centrale, puis licencié d’histoire, cousin de Mme Simone, snob et misanthrope, agitateur d’idées et semeur de discorde depuis ses premiers articles sur l’affaire Dreyfus, lié ensuite à Charles Péguy – par une « complicité d’amertume », suivant Daniel Halévy –, rentier ruiné en 1913 et vivant dès lors de sa plume, Benda était un « petit démon docte et coquet », comme le décrit en 1919 Maurice Martin du Gard, à qui plaisait son esprit « insurrectionnel, catégorique, autonome, supérieur ».

Il fit toute sa longue carrière d’homme de lettres sur une idée fixe : la réfutation de la philosophie et de la littérature modernes au nom du rationalisme et de l’universalisme des Lumières. Disciple déçu d'Henri Bergson dès avant 1914, partisan de l’intelligible, il étendit son procès du philosophe de l’intuition à toute la littérature et à toute la pensée contemporaines dans Belphégor (1918), et il réitéra son réquisitoire antimoderne et antilittéraire dans La France byzantine (1945). Dans ses nombreux essais de l’entre-deux-guerres publiés chez la Nouvelle Revue Française (NRF), il s’en prit aux intellectuels qui trahissaient l’esprit par leur passion de nation (comme Maurice Barrès ou Charles Maurras) ou de classe (comme Georges Sorel). Militant antifasciste, il s’engagea lui aussi et se rapprocha des communistes.

Réfugié dans le Midi, il survécut à la guerre bien qu’il fût juif et haï des fascistes, avant d’écrire aux Lettres françaises par fidélité.

Antoine Compagnon
professeur à l’université de Paris IV-Sorbonne
et à Columbia University, New York

Source: Commemorations Collection 2006

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