Page d'histoire : Naissance de la double caisse des dépôts et consignations et d'amortissement 28 avril 1816

Hall d’accueil du siège historique
de la Caisse des dépôts au 56, rue de Lille,
à Paris, le 20 janvier 2015.
© Photo Jean-Marc Pettina – Caisse des dépôts, 2015

En 1814, les responsables des finances de la première Restauration manifestent la volonté d’une double rupture avec la politique du crédit conduite sous la Révolution et l’Empire, en particulier la banqueroute des deux tiers de 1797 ou encore le détournement des fonds de la Caisse d’amor tissement vers la trésorerie sous Napoléon. Mais, de manière paradoxale, pour asseoir le crédit public sur des bases nouvelles et saines, il convenait d’abord d’honorer les dettes de l’État contractées lors des régimes précédents en s’écartant résolument de leurs pratiques funestes tout en confirmant les réorganisations financières constructives opérées sous la Révolution et sous l’Empire.

En 1815, il apparaît que le montant de l’arriéré antérieur à 1801, augmenté de celui qui s’est formé entre 1801 et 1815 ainsi que des quelque 96 millions de francs qui résultent des dépenses de guerre et d’occupation dues aux Alliés, atteint un total d’environ 193 millions de charge de dette annuelle (sous la forme des intérêts à verser aux rentes), représentant un capital d’environ quatre milliards (à cette date le budget ordinaire annuel, rappelons-le, atteint environ un milliard de francs). En outre, le cours de la rente, très bas, ne permet pas de recourir massivement à la dette perpétuelle.

Au cours de son exposé des motifs du projet de budget pour 1816, le 23 décembre 1815, le ministre des Finances, le comte Corvetto, reprenant le raisonnement de l’économiste britannique Price, annonce la création d’une nouvelle Caisse d’amortissement : « L’expérience nous a révélé les prodiges opérés par l’amortissement quand une rigoureuse et imperturbable fidélité le défend contre toute entreprise arbitraire. » Dans la lignée de ce débat, la loi adoptée le 28 avril 1816 prévoit la création de deux caisses séparées mais jumelles, dont la plus importante est alors la Caisse d’amortissement, « inviolable, libre et indépendante du Gouvernement ». Les articles 99 et 100 visent à préserver la Caisse de l’action ministérielle en interposant entre son directeur général et le chef de l’État une commission de surveillance, qui la place ainsi « sous la garantie de l’autorité législative ». Et l’article 104 rend immuable la dotation de la Caisse, qui se monte à l’origine à vingt millions, augmentés à quarante millions.

La Caisse d’amortissement s’emploie bel et bien à éteindre la dette perpétuelle en achetant des rentes. Mais, dans les faits, le nouvel établissement, en restaurant la confiance, dont le signe immédiat est la remontée du cours de la rente, rend possible l’émission de nouveaux emprunts dans de meilleures conditions pour le Trésor. Ainsi, la Caisse conforte-t-elle la confiance en employant ses ressources à amortir la dette perpétuelle et contribue non à l’éteindre, mais bien à l’accroître. La Caisse elle-même perd de son importance dès les années 1830, l’amortissement étant abandonné.

Quant à la Caisse des dépôts et consignations, elle fonctionne sous l’autorité du même directeur général, siège dans les mêmes bâtiments – jusqu’en 1853, dans les locaux de l’ancien couvent des Oratoriens, en face du Louvre – et se trouve également soumise au contrôle d’une commission de surveillance. Son rôle apparaît encore modeste, de même que ses ressources, présentes sous deux formes : d’abord, des sommes en litige ainsi que des dépôts volontaires, rémunérés à 3 %, mais placés en bons du Trésor à 3,5 % ou 4 %, et non en rentes pour ne pas concurrencer l’autre caisse, et pour des sommes annuelles comprises entre dix et quarante millions ; ensuite, des liquidités propres, placées en bons du Trésor jusqu’en 1826. Mais, à partir de 1837, on constate une évolution inversée des deux caisses. À l’effacement de la Caisse d’amortissement s’oppose l’essor spectaculaire de la Caisse des dépôts et consignations qui, à la suite de la loi du 31 mars 1837, se voit confier la tâche de faire fructifier les ressources des caisses d’épargne privées en les plaçant en rentes à 4 % pour plus de quatre milliards. C’est le début d’une longue carrière pour l’établissement, chargé ainsi de garantir des revenus stables à l’épargne réunie dans les caisses privées.

Les deux caisses étaient bien destinées à faire en sorte que l’État se conduisît de manière honorable à l’égard de ses créanciers ou de ceux qui lui confiaient leur épargne. Piliers de l’appareil fi nancier public, les deux caisses ont permis de construire un véritable système de la dette, sans toutefois que l’État puisse se passer totalement du concours des banquiers de la place. Et leur solidité leur a permis de traverser sans encombre les crises du XIXe siècle et les différents régimes politiques, et de demeurer l’un des rouages essentiels du système financier du siècle suivant.

Michel Margairaz
professeur d’histoire contemporaine
université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne (IHES)
directeur de l’IDHES (Institutions et Dynamiques historiques de l’économie et de la société) / CNRS

Source: Commemorations Collection 2016

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