Page d'histoire : Michel Servet Villanueva de Sijena (Espagne), 29 septembre 1511 - Genève, 27 octobre 1553

Né en Espagne, à Villanueva de Sijena près de Saragosse en 1511 (ou en 1509), Michel Servet a parcouru toute l’Europe afin d’étudier dans les meilleures universités de son époque. Il a ensuite exercé tour à tour les métiers de médecin, géographe, traducteur de la Bible et correcteur d’imprimerie. Savant et érudit, il aurait eu l’intuition de la petite circulation du sang, un siècle avant la découverte de William Harvey. Parallèlement à ses différents domaines de spécialité, il a beaucoup écrit sur des sujets religieux. Il a, en particulier, publié plusieurs traités théologiques qui développaient ses idées personnelles sur le dogme de la Trinité (qu’il récusait) et sur le baptême qu’il entendait réserver aux seuls adultes. Or ces deux doctrines, qualifiées d’antitrinitaire et d’antipédobaptiste, étaient souvent professées dans des milieux dissidents et sectaires issus des bouleversements religieux du XVIe siècle ; elles étaient, en revanche, unanimement condamnées par les grandes confessions chrétiennes rivales de l’époque, le catholicisme et le protestantisme. Ses propos et ses écrits l’ont rendu fort suspect à ses hôtes successifs. En dépit de sa prudence (il voyageait et publiait sous le pseudonyme de Michel de Villeneuve), il a payé de sa vie la relative diffusion de ses idées hétérodoxes. Certes, il n’a pas été le seul à son époque à être condamné à mort pour un motif religieux. Les exécutions pour hérésie ou blasphème étaient nombreuses depuis le Moyen Âge. Mais il est le seul à avoir eu le douloureux privilège d’être condamné deux fois de suite au bûcher la même année, dans deux villes rivales d’un point de vue religieux. Il exerçait officiellement la profession de médecin de l’évêque de Vienne en Dauphiné lorsqu’il fit paraître – de façon anonyme – son grand ouvrage intitulé La restitution du christianisme (1553). Démasqué par ses adversaires, il a été dénoncé à l’Inquisition de la ville. Après s’être échappé de sa prison, il a été arrêté quelques semaines plus tard à Genève. Suite au procès que lui a intenté Jean Calvin (1509-1564), il a été condamné à mort par le magistrat de la ville, le 27 octobre 1553 et exécuté le jour même. Le grand inquisiteur de Vienne avait vainement réclamé son extradition à la cité protestante. Condamné à mort par contumace, il a alors été brûlé une seconde fois, en effigie, dans la cité catholique. Cette étonnante unanimité dans la condamnation religieuse d’un homme et de ses idées de la part des adversaires les plus résolus de l’époque est déjà une singularité que ne partagent pas tous ceux qui ont eu à souffrir dans leur chair de leur différence. On croirait que la cause était entendue et la condamnation acceptée sinon souhaitée par les chrétiens de toutes les tendances confessionnelles représentées à l’époque.

Cependant, les cendres de Michel Servet étaient à peine refroidies que plusieurs voix se sont élevées pour protester vigoureusement contre cette exécution. Parmi celles-ci, celle de Sébastien Castellion (1515-1563), un humaniste réformé réfugié à Bâle qui s’était brouillé avec Jean Calvin quelques années plus tôt. Il est en particulier l’auteur d’une maxime devenue célèbre : « Tuer un homme ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme ». Sa protestation n’a cependant pas eu un grand retentissement à son époque. C’est par la suite que les polémiques sur le droit dont le pouvoir politique pouvait user afin de punir les hérétiques et autres mal-pensants de la foi se sont poursuivies tout en se radicalisant. Michel Servet est alors progressivement devenu une figure emblématique du martyr de l’intolérance religieuse. Il figure ainsi à côté d’autres victimes de l’Inquisition, comme les cathares, le chevalier de La Barre ou Étienne Dolet, pour ne citer que les plus connus parmi la cohorte des persécutés réhabilités par Voltaire et dans les milieux libres penseurs qui en propagèrent sa philosophie anticléricale. Michel Servet n’a cependant pas été l’unique victime de l’intolérance des protestants, mais il est le seul qui ait été nommément condamné dans l’article XIV de la confession de foi dite « de La Rochelle » de 1559, l’un des plus anciens textes dogmatiques de référence du protestantisme français.

Contrairement au destin de l’homme, la théologie de Michel Servet n’a pas eu, elle, de très grande fortune. Il n’a pas eu de disciples de son vivant, ses ouvrages ont été systématiquement détruits et les rares groupes religieux qui se reconnaissaient en partie dans sa doctrine ne l’ont jamais considéré comme leur seul maître à penser. Certains auteurs, comme les Encyclopédistes au XVIIIe siècle, ont pu parler de « servétistes », une appellation impropre pour désigner de petits groupes antitrinitaires très divers comme les sociniens en Pologne, ou les unitariens en Hongrie, Transylvanie ou Hollande. Plus tardivement, au XVIIIe siècle, les unitariens d’Angleterre et des États-Unis ont invoqué Michel Servet comme l’un de leurs ancêtres spirituels, mais ils n’ont jamais considéré sa théologie comme exprimant leur propre doctrine. C’est donc l’homme et son destin tragique plus que sa pensée qui ont marqué les différents acteurs de la polémique à son sujet. Contrairement à celle des autres « héros » de la Libre Pensée, la mémoire de Michel Servet n’a pas été accaparée par un seul courant de pensée anticlérical et militant. Michel Servet, en tant que victime de l’intolérance religieuse, a été revendiqué comme le champion de nombreux courants de pensée idéologiques ou religieux et en particulier par le mouvement chrétien libéral. À l’occasion du 350e anniversaire de sa mort en 1903, pas moins de quatre monuments concurrents lui ont été élevés en France (à Paris, Annemasse et Vienne) et à Genève. Chaque année, la Libre Pensée salue par ailleurs sa mémoire à la date anniversaire de son exécution, au pied de sa statue qui fait face à la mairie du XIVe arrondissement de Paris.

Valentine Zuber
maître de conférences à l’École pratique des hautes études

Voir aussi recueil Célébrations nationales 2003

Source: Commemorations Collection 2011

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