Page d'histoire : Théophraste Renaudot Loudun (Poitou), fin 1586 - Paris, 25 octobre 1653

Théophraste Renaudot vers 1644

Parrain posthume d’un grand prix littéraire qui lui vaut, chaque année, en novembre, depuis 1926, l’honneur de figurer à la une de tous les quotidiens et de compter, parmi ses illustres filleuls, Céline, en 1932, pour Voyage au bout de la nuit et Aragon, en 1936, pour Les beaux quartiers - sans oublier ce jeune chartiste, lauréat 1933, Charles Braibant, pour Le roi dort - , Théophraste Renaudot est cela certes, mais il est bien plus et bien mieux encore.

Docteur en médecine, le 12 juillet 1606, à dix-neuf ans ; médecin ordinaire du roi, dès 1612 ; commissaire général des pauvres du royaume, en 1618 ; fondateur du Bureau d’adresse en 1628 ; père de la fameuse Gazette,en 1631 ; organisateur, en 1632, des Conférences hebdomadaires où savants et curieux pouvaient se retrouver et débattre, à la seule condition de n’y parler ni de politique, ni de religion ; introducteur des monts-de-piété, en 1637 ; promoteur des Consultations charitables...

Un médecin d’abord, un philanthrope et un savant, mais aussi le père de la publicité et du journalisme en France. Un esprit inventif, dynamique et ambitieux. Une vie foisonnante aux activités et aux curiosités multiples qui, jusqu’à maintenant, a découragé toute tentative d’une biographie scientifique complète.

À l’origine de tout cela, un patronage illustre : le cardinal de Richelieu.

Issu du second mariage de Jean Renaudot, maître d’école huguenot, l’enfant qui reçut le nom prédestiné du disciple préféré d’Aristote, Théophraste, l’homme au divin langage, naquit à Loudun. Après de bonnes études classiques jusqu’en 1602, il suit à Paris des cours de chirurgie. En novembre 1605, il rejoint la faculté de médecine de Montpellier qui accueille les protestants, est ouverte aux idées novatrices telle que l’étude de la chimie et possède, depuis 1598, son Jardin des Plantes. En neuf mois, il y conquiert tous ses grades. Après plusieurs séjours à l’étranger, notamment en Angleterre, en avril 1607, il revient à Loudun pour y exercer la médecine. Il y épouse, le 10 juin 1608, Marthe Dumoustier, protestante, qui lui donnera neuf enfants, quatre garçons et cinq filles. L’aîné, Isaac, et le troisième, Eusèbe, - dont est issue, par les femmes, une descendance aussi nombreuse que distinguée - deviendront médecins comme leur père.

Il publie, en 1619, une Description d’un médicament appelé Polychreston et, en 1620, un Discours sur le scelet c’est-à-dire sur les os de l’homme qu’il dédie, l’un et l’autre, aux députés des églises réformées assemblez à Loudun... C’est à cette époque que le père Joseph vient y prêcher la Pentecôte où «il se fit écouter des hérétiques non moins que des catholiques ».C’est à cette même époque qu’Armand-Jean du Plessis de Richelieu, évêque de Luçon à vingt et un ans, en 1606, docteur en Sorbonne, l’année suivante, vit retiré dans son prieuré de Coussay - à quatre lieues de Loudun. Il est admis au Conseil le 29 avril 1624 ; le 13 août, il en est le chef. En juin 1625, Renaudot, qui a quitté Loudun pour toujours, s’installe à Paris avec sa famille. La coïncidence est trop évidente pour ne pas être soulignée. Sous l’influence de Bérulle, il se convertit au catholicisme en octobre 1628.

Pour accomplir sa mission le cardinal-ministre, féodal dans l’âme, a besoin d’avoir près de lui des hommes à lui entièrement dévoués à son service et à sa personne, des créatures dont il fera la fortune en exigeant, en échange, le dévouement le plus entier. Théophraste Renaudot fut l’un d’eux.

L’entrée de Renaudot dans la familia du cardinal avait été motivée par deux raisons : l’échec de la réforme de l’assistance et la nécessité d’agir sur l’opinion.

L’Aumône générale installée à Paris, vers 1530, n’avait pas permis de faire disparaître la mendicité et le chômage. À l’enfermement qui retranche les sans-aveu, Renaudot proposait une alternative avec son bureau d’adresse, organisant le marché de l’embauche et permettant aux sans-travail de trouver un emploi. Sa Requête adressée au roi, en 1626, communément appelée Traité des pauvres, donnant une vision totalement laïcisée de la pauvreté, en formait les prémices.

Quant à la nécessité d’agir sur l’opinion, Richelieu avait conçu la Gazette comme un journal officiel, tout à la fois outil de propagande et d’information, cherchant à rectifier les rumeurs, à faire sonner, haut et fort, les actions du roi et les siennes. Ils en furent, l’un et l’autre, les plus illustres rédacteurs.

Renaudot n’a jamais caché l’état de subordination dans lequel se trouvait son journal, « ma plume n’a été que greffière ». Et les propos du cardinal : « La Gazette fera son devoir ou Renaudot sera privé des pensions dont il a jouy jusqu’à présent » sont sans équivoque.

En contrepartie de son action au bureau d’adresse dont il faudrait souligner également l’autre dimension sociale avec les consultations charitables et le mont-de-piété et de ses services journalistiques, Théophraste Renaudot reçut de ses illustres commanditaires une protection absolue, tant à l’égard des imprimeurs-libraires ou des six-corps, que son journal et ses activités charitables pouvaient léser, qu’à l’égard des médecins de Paris et singulièrement de son plus mortel ennemi, Guy Patin. Malheureusement, cette protection liée à ce patronage était fragile...

Richelieu meurt le 4 décembre 1642, Louis XIII disparaît le 14 mai 1643. Le 1 er mars 1644, par un arrêt resté célèbre, le Parlement enlève à Renaudot tous ses titres, ses monopoles et privilèges. Il ne lui reste plus que la Gazette dont Mazarin saisira bien toute l’importance politique - qui restera dans sa descendance jusqu’au milieu du XVIIIe siècle et continuera à paraître jusqu’en 1915 - et son bureau d’adresse.

Il meurt aux galeries du Louvre, le 25 octobre 1653, là-même où sa fonction d’historiographe du roi, depuis 1646, lui valait un logement. Il est enterré le lendemain en l’église Saint-Germain-l’Auxerrois, devant l’autel de la paroisse. Une dalle, scellée en ce lieu en 1986, rappelle l’emplacement de sa sépulture.

 

Gérard Jubert
président de la Société historique du pays de Loudunois

Source: Commemorations Collection 2003

Liens