Page d'histoire : Inauguration de la maison de la culture d'Amiens par André Malraux 19 mars 1966

Visite d’André Malraux à la maison de la culture d’Amiens le 19 mars 1966,
photographie Le Courrier picard, Amiens, archives départementales de la Somme.
© AD de la Somme / Le Courrier picard

Pour rendre accessibles au plus grand nombre les oeuvres capitales de l’humanité et d’abord de la France, André Malraux espérait faire naître une maison de la culture par département. Il fallut attendre son discours de Bourges, en 1964, pour qu’il ose affirmer : « si la culture existe, ce n’est pas du tout pour que les gens s’amusent ». C’est à Amiens, le 19 mars 1966, lorsqu’il inaugura le premier édifice spécifiquement construit pour être une maison de la culture, que le ministre d’État exposa le plus éloquemment les objectifs majeurs de sa politique culturelle et rappela sa volonté : qu’on ne confonde pas la culture et les loisirs – simples entractes pour la distraction des masses.

Avant une représentation de Macbeth, Malraux salua des abonnés plus nombreux qu’à la Comédie-Française et put se réjouir que 10 % de la nation soient « rassemblés dans l’ordre de l’esprit ». Il déplora aussi un déluge d’imbécillité et soutint que le problème de notre civilisation n’est pas du tout celui de l’amusement : la culture, c’est ce qui répond à l’homme quand il se demande ce qu’il fait sur la terre. Dans une année où sa santé chancelait, Charles de Gaulle avait fait savoir à son ami génial qu’il le voyait « comme un compagnon à la fois merveilleux et fidèle ». Cependant, son utopie culturelle allait être frappée à mort par les arbitrages financiers et les contestataires de mai 1968. Peu après l’inauguration d’Amiens, l’inspection générale des Finances énonçait : « la mission tracée aux maisons de la Culture, leur nom même sont trop ambitieux ». Les budgets s’en ressentirent, avec déblocage de seulement 51 % des enveloppes initiales en dépit d’une déclaration de Malraux aux députés, le 27 octobre 1966 ; il rappelait que les crédits nécessaires n’équivalaient qu’à vingt-cinq kilomètres d’autoroute : « la France, pour cette somme misérable, peut, dans les dix ans qui viendront, redevenir le premier pays culturel du monde ».

Lorsqu’il vint inaugurer à Grenoble, le 4 février 1968, le deuxième édifice conçu pour être une maison de la culture, André Malraux put se féliciter que, pour la saison 1966-1967, les maisons de la culture aient recueilli 100 000 adhésions et accueilli 700 000 spectateurs. À ses yeux, les maisons de la culture étaient un phénomène historique que la télévision contribuait à emplir mais qui ne répondaient heureusement pas à un besoin de distraction. L’ère Malraux, tonitruante, unificatrice et, ici ou là, réalisatrice – comme devait l’écrire Pascal Ory –, continue de rayonner par la force d’une conviction martelée dix années durant : « la culture est devenue l’autodéfense de la collectivité, la base de la création et l’héritage de la noblesse du monde ».

Charles-Louis Foulon
docteur en études politiques et en histoire

Source: Commemorations Collection 2016

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