Page d'histoire : Jean Arp Strasbourg (Bas-Rhin), 16 septembre 1886 - Bâle (Suisse), 7 juin 1966

Cravate et tête, ou Confi guration au chef perdu,
relief en bois peint polychrome de Jean Arp, vers 1925, Strasbourg,
collection musée d’Art moderne
et contemporain – Musées de Strasbourg.
© Photo Musées de Strasbourg / M. Bertola

« Arp, sourire léger des pluies marines ! », ainsi Tristan Tzara rend-il hommage à son ami d’une vie en un vers qui dit toute la fantaisie d’un artiste-poète qui, de façon discrète mais ô combien significative, fut de toutes les grandes aventures des avant-gardes de la première moitié du XXe siècle.

Arp l’Alsacien – né Hans et devenu Jean – voit le jour à Strasbourg d’un père allemand et d’une mère française et regardera, non sans incompréhension, ses deux pays de coeur, voisins et ennemis, se déchirer dans des conflits à répétition. Le jeune Arp, élevé dans trois langues maternelles – car il pratique aussi le dialecte alsacien –, s’intéresse très tôt à la poésie, qu’il lit et écrit, ainsi qu’au dessin. La guerre ne lui laisse guère le temps de poursuivre son compagnonnage aux côtés des expressionnistes allemands (il fut lié aux artistes du Blaue Reiter après sa rencontre avec Kandinsky en 1912). Arp est de nationalité allemande et, pour fuir la mobilisation qui l’attend, il file d’abord à Paris puis s’installe en Suisse lorsque le conflit s’enlise. Sait-il que Zurich, où il a élu domicile, est en passe de devenir le haut lieu de la contestation artistique la plus tonitruante de ce siècle et qu’il en sera l’un des acteurs majeurs ? C’est là, en effet, qu’un certain Hugo Ball et sa compagne, Emmy Hennings, se produisent dans une taverne de la Spiegelgasse. Arp ne tarde pas à se lier avec le couple ainsi qu’avec les artistes et écrivains (Tristan Tzara, Marcel Janco, Richard Huelsenbeck, Hans Richter…) qui fréquentent le Cabaret Voltaire et l’animent de spectacles hurlés dans toutes les langues et de danses frénétiques données derrière des masques. Dada est né, une légende jamais démentie raconte que son nom fut trouvé au hasard des pages d’un dictionnaire.

L’arrivée à Zurich est également marquée par sa rencontre décisive avec Sophie Taeuber qu’il épouse en 1922 et qui sera jusqu’à sa mort accidentelle en 1943 une complice qui infl uencera profondément son art. Sophie Taeuber vient de la danse et des arts appliqués ; avec elle, Arp développe intensément les oeuvres collaboratives (tapisseries, vitraux, décors pour les salons de l’Aubette à Strasbourg également avec Theo van Doesburg). Ses collages, sculptures et reliefs placent le hasard au coeur du process et la nature au départ de toute création. Partant de ces deux prérequis, Arp écrit une oeuvre poétique et plastique, ponctuée de nuages, de lutins, de nombrils et de bouteilles qui rencontreront le surréalisme, le groupe Abstraction-Création, ou encore Cercle et Carré, sans toutefois se rallier durablement à l’un ou l’autre : sans querelle ni hostilité, Arp s’éloigne de toute tentation dogmatique, il lui préfère l’humour et le rêve.

Celui qui enjoignait au lecteur de ses poèmes de « sauver le monde de la folie la plus dangereuse : la vanité » aura apposé un simple « arp » au bas de ses créations : une signature en bas de casse pour une oeuvre majuscule. Ses créations, à l’image de leur auteur, européen avant l’heure, sont visibles en France (musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg, Fondation Arp à Clamart), en Allemagne (Arp Museum Rolandseck) et en Suisse (Fondation Marguerite Arp à Locarno).

 

Estelle Pietrzyk
conservatrice en chef du patrimoine
directrice du musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg

 

 

Voir Célébrations nationales 1986, p. 34

Source: Commemorations Collection 2016

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