Page d'histoire : Fondation de l'abbaye Saint-Maurice d'Agaune 22 septembre 515

Sise au pied des Alpes, dans un étroit défilé du Rhône en amont du Léman, la petite ville valaisane de Saint-Maurice s’enorgueillit d’abriter la seule abbaye d’Occident toujours en activité après 1 500 ans d’existence. Le 22 septembre 515, Sigismond, prince des Burgondes, y célébra en grande pompe l’inauguration du monastère qu’il venait de fonder en l’honneur de Maurice et de ses compagnons, martyrs de la légion thébaine. Lieu de culte depuis l’époque celtique, le site d’Agaune était un passage obligé pour les voyageurs qui traversaient les Alpes par le col aujourd’hui nommé Grand-Saint-Bernard. Il avait accueilli sa première basilique chrétienne dès la fin du IVe siècle, lorsque l’évêque Théodore du Valais y avait mis en valeur les reliques des légionnaires égyptiens de l’armée romaine qui passaient pour avoir subi le martyre à cet endroit. La Passion des martyrs d’Agaune, mise par écrit par l’évêque Eucher de Lyon, contribua à la diffusion rapide de leur culte.

Durant le haut Moyen Âge, l’abbaye royale Saint-Maurice d’Agaune, située sur la principale route de Rome, jouit d’une grande réputation. Le saint soldat Maurice devint, avec saint Denis et saint Martin de Tours, l’un des saints patrons préférés des souverains francs. Le saint roi Sigismond y fit aussi l’objet d’un culte, en tant que martyr et thaumaturge. La liturgie orientale d’Agaune, dite laus perennis, qui voyait les moines se relayer nuit et jour pour chanter des louanges à Dieu, s’était exportée jusqu’à Saint-Denis. Témoins de cette réputation, les riches pièces d’orfèvrerie conservées aujourd’hui dans le trésor de l’abbaye ont été exposées au Louvre au printemps 2014.

À la suite des réformes carolingiennes, les religieux optèrent pour le mode de vie canonial plutôt que pour la règle de saint Benoît. La communauté des chanoines conserva néanmoins son statut d’abbaye royale. Le duc Rodolphe était abbé laïc de Saint-Maurice lorsqu’il se fit couronner roi de Bourgogne dans la basilique en 888. L’abbaye demeura l’un des centres principaux du nouveau royaume jusqu’à l’intégration de celui-ci dans l’Empire germanique en 1032. Elle passa alors sous le contrôle de la maison de Savoie pour un siècle, avant de devenir une abbaye de chanoines réguliers de saint Augustin en 1128.

L’héritage spirituel des Carolingiens se transmit aux Ottoniens. Otton Ier imposa la fête de saint Maurice dans tout le royaume. La lance de saint Maurice, confondue avec la Sainte Lance, devint l’un des insignes impériaux du Saint Empire. La cathédrale de Magdebourg conserve encore aujourd’hui la célèbre sculpture représentant, vers 1240, le Thébain Maurice sous les traits d’un Africain noir en armure. En France, les Capétiens ne furent pas en reste. Louis IX se fit ainsi le promoteur du culte des martyrs d’Agaune, auxquels il dédia son prieuré de Senlis.

Transformée en collégiale vers 1300 puis régularisée au XVIIe siècle, l’abbaye est devenue un centre de culture et d’érudition. Elle abrite depuis la Révolution un collège réputé et conserve encore ses archives, qui forment un fonds exceptionnel. Les fouilles archéologiques reprises en 2001 par Alessandra Antonini ont rendu le chantier accessible au public : on peut y découvrir les huit basiliques successives qui ont occupé le site depuis le IVe siècle.

 

Anne-Marie Helvétius
professeure d’histoire médiévale
université Paris VIII - Vincennes - Saint-Denis 

Source: Commemorations Collection 2015

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