Page d'histoire : Pierre Babaud de la Chaussade Bellac (Limousin), 27 septembre 1706 - Paris, 12 août 1792

Pierre Babaud de la Chaussade
Portrait anonyme, XVIIIe siècle
© Les Amis du Vieux Guérigny / Michel Bozzani

Babaud de la Chaussade est certes moins connu que d’autres fondateurs de dynasties de maîtres de forges comme les Wendel en Lorraine, les Dietrich en Alsace ou les Barral en Dauphiné. Pourtant les forges de la marine qu’il avait créées à Guérigny, dans le Nivernais, n’ont cessé leur activité qu’en 1970. Passées peu avant sa mort aux mains du roi, elles continuaient, par ordonnance royale, à s’appeler « forges de la Chaussade », en signe de reconnaissance pour les services rendus à l’État par ce grand entrepreneur.

Né et baptisé à Bellac le 27 septembre 1706 (et non 1702, comme le veulent les anciennes notices), Pierre Babaud s’était occupé d’abord, comme son père, de commerce de bois pour la marine de guerre. Dès 1725, il s’était lié avec Jacques Masson, un financier genevois devenu directeur des finances du duc de Lorraine, Léopold. En 1734, il épouse la fille de Masson, Jacqueline, et le ministre de la Marine, Maurepas, signe au contrat. Masson devient en 1736 premier commis au Contrôle général des finances, chargé des affaires de Lorraine et, en 1740, il est nommé Directeur général des mines et minières de France. C’est un personnage bien en Cour. Depuis 1720, il possède des forges et des bois en Nivernais, il exploite avec son gendre Babaud, depuis 1735, la forge aux ancres de Cosne, qui travaille pour les ports de Lorient et de Brest.

À la mort de son beau-père, en 1741, Babaud constitue en dix ans un petit empire industriel, qui s’étend sur trente paroisses en Berry et en Nivernais. Il possède cinq hauts fourneaux, dix-sept forges, cinq forges aux ancres. Il fournit en fers et en ancres les ports de guerre (il obtient une sorte de monopole en 1762) et la Compagnie des Indes. Il peut produire jusqu’à 4 000 tonnes de fers pour la Marine, il emploie plus de 2 000 ouvriers. Or on sait toute l’importance de la qualité des ancres pour les navires de guerre. C’est là un bel exemple de capitalisme métallurgique entièrement lié aux commandes de l’État.

Mais avec la paix de 1763, on réduit les dépenses de la Marine. Babaud, qui s’est fort endetté pour assurer le service, s’en trouve affaibli. Il n’a pas de fils capable de lui succéder. Dès 1769, il offre de céder au roi l’ensemble de ses forges pour 2,4 millions de livres. Le contrôleur général des Finances, l’abbé Terray, refuse. En 1780, Babaud – il a 74 ans – vend ses forges à une compagnie financière : mais à la demande de Louis XVI, Necker fait annuler la vente et rachète les forges pour 3 millions de livres. Elles seront désormais exploitées par le contrôleur général des finances et dirigées par un conseiller d’État. Cette « nationalisation » des forges nivernaises permettait d’éviter tout risque de -dislocation ou de spéculation. On a fait jouer – c’était le moment de la guerre en Amérique – l’intérêt supérieur de la marine militaire. « Un canon défectueux », disait-on, « peut coûter la vie de sept à huit hommes, mais la vie d’un équipage entier dépend de la qualité d’une ancre ». Et tous les contemporains reconnaissaient l’efficacité de Babaud, sa vision positive de l’industrie métallurgique et l’importance de l’instrument dont il avait doté la marine française.

Jacques Thuillier
Professeur au Collège de France
membre du Haut comité des Célébrations nationales

Source: Commemorations Collection 2006

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