Page d'histoire : Émile Littré Paris, 1er février 1801 - Paris, 2 juin 1881

Emile Littré Caricature,
Bibliothèque nationale de France

On peut déplorer qu'à un siècle de distance, la personne et l'œuvre d'Émile Littré se soient effacés derrière son dictionnaire. Le lexicographe ne devrait pourtant pas faire oublier la personnalité, aussi célébrée en son temps, du publiciste, vulgarisateur scientifique, philologue, historien de la médecine et de la langue, du philosophe militant, écrivain politique et directeur de revue, voire même du député et sénateur de la IIIe République.

Littré se consacra à l'écriture et à l'érudition pour compenser, dit-on, un manque d'assurance, une parole maladroite et un physique ingrat. De brillantes études classiques, un fort penchant pour l'histoire, et une passion pour la biologie née à la Faculté de médecine marqueront tous ses travaux. Ayant abandonné l'internat pour le journalisme et la traduction savante, il publiera sans relâche sur les sujets les plus divers.

Certains articles dans Le National, La Science, La Gazette médicale, la Revue des Deux-Mondes, le Journal des Savants, La Revue de Philosophie positive, où il prend position sur les grandes questions scientifiques, philosophiques ou politiques du temps, furent très remarqués et ils lui fourniront matière à des " demi-livres " à succès comme Conservation, Révolution et Positivisme (1852), Histoire de la langue française (1862), Médecine et Médecins (1872), La Science au point de vue philosophique (1873), Littérature et Histoire (1875).

Dès le tome I des Œuvres complètes d'Hippocrate avec texte grec et annotations (1839-1863) il fut élu à l'Académie des inscriptions et belles-lettres, et il doit à ses écrits en faveur de la médecine scientifique une élection triomphale à l'Académie de médecine en 1858, alors qu'il n'était pas docteur. Mais, dès 1840, Littré avait trouvé dans le positivisme d'Auguste Comte le système propre à étayer sa foi dans la science et le progrès ; il en deviendra le meilleur propagandiste avec Paroles de philosophie positive (1859) ou Auguste Comte et la philosophie positive (1863). La révision du dictionnaire de médecine de Nysten (1855) lui fournit l'occasion d'orienter en ce sens certains articles (âme ou homme par exemple) au grand scandale des conservateurs idéalistes. Tenu pour athée, son agnosticisme lui vaudra en 1863 un échec à l'Académie française que le scandale et la caricature compensèrent en notoriété. Candidat plus heureux en 1871, il lui fut néanmoins précisé que seul le lexicographe était élu, non le philosophe.

L'amour de la langue et des mots ne quitta jamais Littré. Renonçant à faire un dictionnaire étymologique, il a donné la mesure de son exceptionnelle puissance de travail et de son abnégation au cours des trente années consacrées à son Dictionnaire de la langue française publié de 1863 à 1877. Il en a renouvelé le genre à partir d'une très riche documentation textuelle et d'une méthode exigeante qui vise à appliquer à l'analyse et à l'histoire des mots les principes positivistes de l'histoire naturelle. Réalisé avec peu de collaborateurs (dont Madame et Mademoiselle Littré), ce monument à la gloire de la langue nationale et des grands auteurs classiques eut un immense succès et lui valut une admiration qui ne s'est pas démentie. Il reste la réalisation la plus marquante, pour le XIX e siècle, de notre pourtant très riche histoire des dictionnaires de langue.

Bernard Quemada
directeur d'études honoraire à l'École pratique des hautes études (IVe section)

Source: Commemorations Collection 2001

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