Page d'histoire : Jean Nicot, sieur de Villemain Nîmes, vers 1530 - Paris, mai 1604

Portrait présumé
cabinet des estampes, Bnf
© cliché Bibliothèque nationale de France

Pour ce qui concerne sa gloire auprès des illustrateurs et défenseurs de la langue française, Jean Nicot, que Ronsard tenait pour un « personnage très sçavant », est d’abord l’inventeur de la lexicographie française. Tôt associé (avec Dupuys et d’autres) aux éditions du Dictionnaire françois latin d’Estienne, il devint ensuite le maître d’œuvre et principal auteur du Thrésor de la Langue françoyse, tant ancienne que moderne, ouvrage justement fameux auquel il s’attela dès 1573, donna son nom et ses qualités, et qui fut publié deux ans à après sa mort à Paris. En apportant des changements considérables aux méthodes des ouvrages antérieurs, Nicot établit pour l’article de dictionnaire une matrice reprise par Richelet, Furetière et l’Académie française, et qui demeure aujourd’hui encore la référence. Par cette entreprise, il apporta une multitude de renseignements sur la langue et les connaissances de son temps. C’est une somme d’informations où l’histoire de la linguistique puise encore.

Pourtant, cette universelle renommée acquise de son vivant, Nicot la doit moins à son érudition qu’à une circonstance fortuite qui, de son patronyme, a fait un substantif. En 1561, le cardinal de Lorraine proposa d’appeler le pétun, venu nouvellement d’Amérique, nicotiana. Très vite, à la Ville comme à la Cour, on préféra parler de « nicotiane », et même d’« herbe à Nicot ». Nicot ne fut pas « le premier auteur, inventeur et apporteur de cette herbe en France » (1). L’histoire en attribue le mérite à André Thevet qui acclimata les premiers plants dans son jardin angoumoisin à son retour de l’expédition de Villegaignon au Brésil, et l’on sait aussi que le tabac était fumé dans les ports français de l’Atlantique dès 1525 au moins. Mais c’est lui qui sut le premier en promouvoir l’usage auprès des élites. Admis au Conseil du roi Henri II, il avait été dépêché en ambassade à Lisbonne par François II en 1559. L’année suivante, il faisait parvenir à Paris un baril d’une « herbe d’Inde » douée « de merveilleuses et expérimentées propriétés contre le noli me tangere et les fistules déplorées comme irrémédiables par les médecins ». Grâce au tabac, de grandes dames se guérirent de petits maux, et Catherine de Médicis de ses migraines. Dès lors, le tabac fut lancé. Élément de la pharmacopée, nourriture immatérielle, cette plante, « culturelle » entre toutes, ne cessa de modifier les habitudes sociales ou d’en créer de nouvelles, accompagnant l’homme dans ses besoins alimentaires, thérapeutiques, sociaux, psychologiques, économiques et politiques. Dès le XVIIe siècle, conserver, transformer, consommer le tabac devint une industrie et un art. Fumé par les gens de peu, prisé par les notables, le tabac engendra un art de vivre tout en apportant de nouveaux subsides à l’État – 1674 – 1680 : Colbert établit les monopoles de l’État sur sa vente et sa fabrication. « Il n’est rien d’égal au tabac, c’est la passion des honnêtes gens, et qui vit sans tabac n’est pas digne de vivre », affirme Sganarelle.

Marc et Muriel Vigié
historiens

1. Dictionnaire de Liébault, 1570.

Source: Commemorations Collection 2004

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