Page d'histoire : Création de la CFDT par scission d'avec la CFTC 1964

Eugène Descamps à la tribune d'un congrès
© Archives CFDT

Depuis sa création en 1919, la Confédération des Travailleurs Chrétiens (CFTC) avait gagné en influence. Bien qu’écartée des accords de Matignon en 1936, elle n’en avait pas moins pris part à la signature de nombreuses conventions collectives jusqu’à la guerre. Reconstituée en 1944, elle avait maintenu dans ses statuts la référence à la doctrine sociale de l’Église puis, à partir de 1947, à l’humanisme chrétien. Toutefois, assez rapidement, un certain nombre de militants remettent en cause l’orientation chrétienne. C’est en particulier le cas de Paul Vignaux, secrétaire général du Syndicat général de l’Éducation nationale au sein des groupes « Reconstruction ». Il défend avec d’autres militants l’idée que la référence chrétienne fait obstacle au développement de la Centrale. Celle-ci devrait définir ses orientations par elle-même et non se les voir dictées de l’extérieur – en l’occurrence par l’Église.

Progressivement ces groupes de réflexion qui se sont créés autour de l’intellectuel Paul Vignaux gagnent en influence au point que le conflit devient inévitable entre ceux qui tiennent à la référence chrétienne et les tenants de la « déconfessionnalisation ».

À partir de 1961, les minoritaires s’imposent avec Eugène Descamps qui devient secrétaire général de la Confédération et convoque un congrès extraordinaire au Palais des Sports le 6 novembre 1964, où les partisans de « l’évolution » finissent par l’emporter. L’abandon de la référence chrétienne est approuvé à 70 % et la nouvelle majorité décide d’abandonner le sigle CFTC pour le sigle CFDT : Confédération Française Démocratique du Travail. Dans le même temps, l’article 1er des statuts est modifié et la référence explicite à la morale sociale chrétienne abandonnée pour une référence plus large aux différentes formes d’humanisme, « dont l’humanisme chrétien ». Jugeant que cette nouvelle orientation s’éloignait sensiblement de l’esprit des « pères fondateurs » de la centrale syndicale chrétienne, les partisans du maintien de la référence à la morale sociale chrétienne, un groupe de 400 délégués représentant environ 10 % des militants, après avoir beaucoup hésité, quittèrent la salle avec l’intention de faire scission. Le soir même, s’étant réunis au Musée social, ils décidèrent de maintenir la CFTC : La « CFTC  maintenue ». C’est autour de Joseph Sauty, le dirigeant charismatique de la Fédération des mineurs que les syndicats chrétiens reconstitueront leur organisation, faisant face à des difficultés matérielles considérables et à l’hostilité de certains militants CFDT.

Quant à la nouvelle centrale, elle confiera ses destinées d’abord à Eugène Descamps puis à Edmond Maire. En application de l’arrêté du 30 mars 1966, la nouvelle centrale fera partie des cinq organisations syndicales de salariés considérées comme représentatives (dont la CFTC maintenue). Cette même année, elle signera un accord d’unité d’action avec la CGT avant d’adhérer en 1970 aux principes du socialisme autogestionnaire et à la lutte des classes. Aux militants chrétiens venus de la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne) et de l’ACO (Action Catholique Ouvrière) se joignirent bientôt des militants d’extrême gauche peu nombreux, mais très actifs. Leur rôle sera non négligeable dans la radicalisation de la CFDT qui se prononcera en faveur d’une « rupture avec le système capitaliste ». En 1978, toutefois, elle opérera sous l’impulsion de son nouveau secrétaire général Edmond Maire le recentrage de son organisation provoquant une rupture de l’unité d’action avec la CGT. La centrale évoluera ainsi vers un « syndicalisme de transformation sociale » en privilégiant désormais la voie réformiste.

 

Jean-Pierre Audoyer
doyen de la faculté libre d’économie et de droit de Paris (FACO)

Source: Commemorations Collection 2014

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