Page d'histoire : Jean-François-Thérèse Chalgrin Paris, 22 octobre 1739 – Paris, 21 janvier 1811

Salle de bal et de festin à Versailles
Cette construction provisoire fut en réalité installée à Paris dans les jardins du Petit -Luxembourg pour le comte de Mercy-Argenteau, ambassadeur d’Autriche
Dessin (encre noire, rehauts de gouache)
Paris, Musée du Louvre
© RMN / Gérard Blot

Chalgrin fait partie de ces architectes parisiens dont le nom reste à jamais attaché à un monument célèbre : l’arc de triomphe de l’Étoile, érigé sur l’ordre de Napoléon Ier, entre 1806 et 1836. Comme François Blondel cent quarante ans plus tôt pour Louis XIV, et dans un registre colossal qui défie les modèles de l’Antiquité, Chalgrin renonce au prestige des colonnes dans l’ornement des piles pour exalter par l’art sculptural la gloire militaire. Les sculpteurs, avec François Rude, renchérirent dans l’exécution des gigantesques hauts-reliefs, tandis que quatre architectes durent intervenir, depuis la mort de Chalgrin en 1811 et après l’interruption du chantier à la chute de l’Empire, jusqu’à la monarchie de Juillet. Conforme aux conceptions épurées de l’architecture révolutionnaire, l’arc dessiné par Chalgrin dans sa soixante-septième année témoigne, certes imparfaitement dans sa construction quasi posthume, de l’idéal classique d’un artiste renommé de l’Ancien Régime, toujours actif et célébré après la Terreur – période durant laquelle il connut la prison, tandis que sa femme, Émilie, la fille du fameux peintre Joseph Vernet, était guillotinée. Architecte de Monsieur (le futur Louis XVIII) dès 1778 au palais du Luxembourg, Chalgrin poursuit son œuvre dans cet édifice, devenu le Palais consulaire et sénatorial ; on peut notamment y admirer aujourd’hui l’escalier d’honneur majestueux qu’il construisit à la place de la galerie de Rubens. Auparavant sous le Directoire, nommé membre de l’Institut de France (1799), puis au Conseil des bâtiments civils, il avait participé à certains décors urbains éphémères parisiens, comme la tribune conçue à l’image d’un prestigieux autel hellénistique qu’il dressa au Champ de Mars à l’occasion des fêtes des 9-10 thermidor et 1er vendémiaire de l’an VI (27-28 juillet-22 septembre 1798).

Vingt ans plus tôt, c’est un motif d’architecture antique analogue qu’il détournait pour concevoir le monumental buffet de l’orgue Clicquot de Saint-Sulpice (1776) ; et, dans la façade de cette église, il déclinait l’image de la tholos au sommet de la tour nord et à la base de celle-ci (à l’intérieur de la chapelle des baptêmes), deux interventions qui modifièrent le chef-d’œuvre de son maître Servandoni. Avec ingéniosité et élégance, à partir d’un autre type antique, la basilique paléo-chrétienne, Chalgrin réforma l’architecture religieuse moderne dans cette sorte de prototype qu’est Saint-Philippe-du-Roule (projet 1764, chantier 1772-1784), dont l’exemple sera abondamment suivi durant la première moitié du XIXe siècle. Le thème de la nef à colonnes libres et portantes l’avait déjà inspiré dans la réalisation éphémère de la salle de bal de la fête du mariage du dauphin et de Marie-Antoinette (1770), tandis que la colonnade transparente de la cour de l’hôtel de Saint-Florentin (1769) illustre ses œuvres de jeunesse parmi les plus remarquées de son temps. Il en va de même des dessins qui lui valurent le premier Prix de l’Académie royale d’architecture en 1758 (il y sera élu en 1770) traitant du programme d’un pavillon de plaisance : Ange-Jacques Gabriel, alors chargé par Louis XV d’élaborer le petit Trianon, put s’en inspirer. Un séjour prolongé à l’Académie de France à Rome (1759-1762) situe Chalgrin parmi ces piranésiens français qui eurent un contact direct avec l’architecture antique revisitée et l’idéal cosmopolite d’une architecture idéalement à régénérer. Parfois seulement élégant et austère, comme dans le bâtiment du Collège de France (1780), il sut innover dans tous les domaines de son art, public ou privé, laissant l’image d’un des -architectes les plus talentueux des règnes de Louis XV et de Louis XVI, aux côtés de Ledoux, De Wailly, Bélanger ou Brongniart et, comme ces deux derniers, toujours reconnu et en activité sous l’Empire.

Daniel Rabreau
professeur à l’université Paris 1
Panthéon-Sorbonne

Source: Commemorations Collection 2011

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