Page d'histoire : Georges Franju Fougères (Ille-et-Vilaine), 12 avril 1912 - Paris, 5 novembre 1987

Tout commence au début des années 1930 par une rencontre décisive : le jeune Georges Franju se lie d’amitié avec un cinéphile passionné, Henri Langlois. Ils réalisent en 1934 un court-métrage, Le Métro, et fondent l’année suivante le Cercle du cinéma, ciné-club dédié aux films muets déjà oubliés. Franju retrouve les pionniers Georges Méliès et Ferdinand Zecca, dont l’univers, fantasmagorique pour l’un, réaliste pour l’autre, influencera profondément son œuvre future. Afin de sauver la mémoire du cinéma, la Cinémathèque française est créée en 1936 par Franju, Harlé et Langlois. Ce dernier prend rapidement la tête de l’institution, mais confie à son ami en 1938 un rôle clé : le secrétariat exécutif de la FIAF (Fédération internationale des archives de films). Une revue éphémère mais brillante est lancée, Cinématographe. Lors d’un mémorable Gala des fantômes (3 novembre 1937), le style paradoxal de Franju, fait d’onirisme, de réalisme et de fantastique, se révèle à travers un montage de films anciens.

De 1945 à 1953, Franju dirige le secrétariat de l’Institut de cinématographie scientifique, tout en réalisant des documentaires qui influenceront la Nouvelle Vague : Le Sang des bêtes (1948), poème sanglant sur les abattoirs de Vaugirard, Hôtel des Invalides (1952), réquisitoire contre les horreurs de la guerre… Franju, proche de Jean Vigo et de Luis Buñuel (son film préféré est Viridiana), s’en prend à la bourgeoisie, à l’Église, à l’État. Ceux qui ont osé « sortir des barrières » sont célébrés : Le Grand Méliès (1952) révèle la trajectoire tragique d’un personnage hors norme.

Son premier long-métrage, La Tête contre les murs (1958), d’après Hervé Bazin, est une plongée dans l’univers d’un hôpital psychiatrique : « Un film de fou sur les fous. C’est donc un film d’une beauté folle » (Godard). Les Yeux sans visage (1959), qui se déroule dans une clinique digne de Mabuse, rend hommage à l’ombre de Louis Feuillade, de nouveau convoquée dans Judex (1963) et Nuits rouges (1974), écrits avec Jacques Champreux. Franju brille dans l’adaptation de romans : Thérèse Desqueyroux (1962), d’après François Mauriac, l’entraîne dans l’univers de la psychologie criminelle ; il met en scène Thomas l’imposteur (1965), d’après Jean Cocteau et La Faute de l’abbé Mouret (1970), d’après Emile Zola.

Le réalisme de Franju vire toujours au cauchemar : « Je peins le voisinage du meilleur et du pire ». Libertaire, poète et créateur d’images délirantes frottées de réel (le bal masqué d’oiseaux en tenue de soirée dans Judex, les gueules cassées d’Hôtel des Invalides, le cheval en feu de Thomas l’Imposteur, les équarrissages du Sang des bêtes, un corbillard au milieu de menhirs dans Pleins feux sur l’assassin), il sait capter le moment où l’événement le plus banal bascule dans le fantastique. Dans sa volonté de débusquer l’hypocrisie de la bourgeoisie, son point de vue est toujours celui des victimes, des condamnés à la réclusion ; son univers glacé et insolite tourne à l’obsession de l’emprisonnement, de la perte d’identité.
Franju a consacré sa vie à la recherche du secret originel du cinéma, secret détenu par Marey, Lumière et Méliès : magie et illusion, onirisme, fantastique jaillissant par hasard, dans l’imprévu du quotidien, s’installant dans le vide et le silence, se nourrissant de l’angoisse et s’incrustant dans la réalité. Franju aimait à citer Baudelaire : « Celui qui regarde du dehors une fenêtre ouverte voit beaucoup moins de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée ».

 

Laurent Mannoni
directeur scientifique du patrimoine
de la Cinémathèque française

 

Source: Commemorations Collection 2012

Personnes :

Mannoni, Laurent

Thèmes :

Cinéma

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