Page d'histoire : Création de la Compagnie des mines d'Anzin Condé-sur-l'Escaut, 19 novembre 1757

Emmanuel de Croÿ-Solre, duc de Croÿ, maréchal de France
par Théophile-Auguste Vauchelet
huile sur toile, XIXe siècle d’après l’original de Nicolas-André Mousiaux
Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon
© RMN/Daniel Arnaudet

Le 19 novembre 1757, une scène qui n’est pas dépourvue de solennité se déroule au château de l’Hermitage, le château du duc Emmanuel de Croÿ près de Condé. Est alors conclu, sous seing privé, le contrat de société de la Compagnie des mines d’Anzin. Les signataires observent sobrement dans le préambule qu’ils sont tombés d’accord « pour la réunion générale des fosses à charbon de Fresnes, Vieux-Condé, Raismes et Saint-Vaast, vivre en bonne union et faire l’avantage de l’État et du public ».

 

Cet événement a été diversement jugé. Marcel Rouff y voyait la réalisation d’un grand dessein mûri depuis longtemps par le duc de Croÿ. Dans une thèse soutenue à Lille en 1974 – demeurée inédite –, Louis Thibaut considère au contraire que, quel que soit le niveau de cordialité de l’opération, il s’agit d’une simple comédie achevant la véritable spoliation des pionniers de l’exploitation, pieusement placée sous les auspices de l’amour de la paix. Pour bien comprendre le débat, il est utile de se reporter en 1724, année où du charbon est découvert à la fosse dite de Jeanne Colard à Fresnes. Les découvreurs sont Nicolas Desaubois et surtout le vicomte Jacques Desandrouin, un noble belge ayant le sens des affaires et de l’initiative industrielle, originaire de la région de Charleroi et associé dans ce premier temps à ses deux frères. Ce succès est sans lendemain. Les travaux sont inondés par les eaux et la houille extraite n’est propre qu’à la cuisson des briques et de la chaux. Toutefois, tandis que Desaubois et les deux frères de Jacques Desandrouin renoncent, ce dernier s’obstine et continue à investir sans compter dans la prospection, bien qu’aucune déconvenue ne lui soit épargnée. Au début des années 1730, le doute commence à s’insinuer dans les esprits, mais l’intendant du Hainaut, Jean Moreau de Séchelles, sait, lui, prodiguer les encouragements nécessaires au moment opportun. Le 24 juin 1734, a lieu la trouvaille fondamentale. La précieuse houille est repérée à la fosse du Pavé dans l’immédiate banlieue de Valenciennes.

 

Cette découverte est le point de départ de l’odyssée des charbonnages dans la région du Nord. En vingt ans, on creuse sur Anzin et Valenciennes quinze fosses (dont six sans intérêt) et à Fresnes vingt puits (dont dix utiles). L’expansion est des plus prometteuses, la Société est à ce point prospère que des concurrents se manifestent, essentiellement de grands aristocrates de la région, qui, au nom des prérogatives accordées dans le Hainaut aux seigneurs hautjusticiers, affirment avoir un droit de regard sur le sous-sol. Le marquis de Cernay, seigneur de Raismes, crée une société en 1753. Le duc de Croÿ obtient la permission d’exploiter le charbon dans ses terres de Fresnes et de Bruay à l’expiration de la concession de Desandrouin en 1760. Bref, les positions de la société fondatrice des charbonnages sont menacées de toutes parts. Le duc de Croÿ use alors de son crédit moral pour obtenir un compromis associant les personnalités intéressées dans les diverses sociétés à qui, note É. Grar, il demande l’oubli du passé. Une société au caractère éminemment aristocratique est alors constituée. Elle connaît un essor prodigieux. En 1790, plus de 300 000 tonnes sont extraites et tous les observateurs admettent que la Compagnie a à son service 4 000 personnes. En juillet 1794, comme les principaux actionnaires ont émigré, elle devient propriété de la République. Cette expérience peu connue de nationalisation ne dure guère. L’entreprise est restituée au secteur privé dès juin 1795, du reste à vil prix puisque les actions sont acquittées en assignats dépréciés. Aux côtés des survivants de l’ancien état-major de la Société, de nouveaux actionnaires font leur entrée, dont le bientôt célèbre Claude Perier. En octobre 1806, Jean-Marie Desandrouin, dûment dédommagé, se retire. La Compagnie d’Anzin devient l’incarnation de la société de charbonnage et il n’est pas étonnant qu’Émile Zola ait enquêté dans le Valenciennois avant d’écrire en 1884 son célèbre roman Germinal. Aujourd’hui, l’histoire du charbon appartient à un passé révolu. Quant à la Compagnie d’Anzin, elle a été nationalisée le 14 décembre 1944, comme les autres compagnies minières du Nord-Pas-de-Calais, par une ordonnance du gouvernement provisoire issu de la Résistance, présidé par le général de Gaulle et composé de socialistes, de communistes et de démocrates chrétiens du MRP.

 

Philippe Guignet
professeur à l’université Charles de Gaulle/Lille III
directeur de la Revue du Nord

 

Source: Commemorations Collection 2007

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