Page d'histoire : Installation des usines d'André Citroën quai de Javel Printemps 1915

André Citroën n’est pas un pionnier de l’automobile. Au moment où sortent les premiers modèles, Citroën est à l’École polytechnique, encore peu fixé sur son avenir. Un voyage en Pologne, pays d’origine de sa mère, le conduit à découvrir un système d’engrenages à chevrons. Il en achète la licence et crée une société en 1905 qu’il installe ensuite quai de Grenelle à Paris. Citroën connaît bien cet arrondissement industrieux. Depuis 1907, il a été appelé par les frères Mors à la direction de leurs usines automobiles, rue du Théâtre. Citroën est là en sauveteur. Mais il piétine jusqu’en 1913, au moment où il convainc l’un des plus grands lapidaires de Paris de le financer. Parti apprendre la modernité aux États-Unis durant l’été 1913, il impose chez Mors des réformes fortes, mais aux conséquences lourdes : l’augmentation de la production se double de pertes financières. L’introduction modérée du taylorisme et la réduction des salaires poussent les ouvriers à la grève, et Citroën au lock-out.

La Grande Guerre accélère la mutation. À l’initiative du Comité des forges, Mors obtient le 18 octobre 1914 un contrat de 15 000 obus. Le front de l’arrière se met en place. Toutes les portes s’ouvrent à un Citroën à la fois polytechnicien, officier et industriel. En décembre, il soumet au ministère de la Guerre l’idée d’une usine capable de produire des obus en grande série. Avec conviction puisqu’il signe le 26 janvier 1915 un contrat d’un million d’obus. L’usine de la rue du Théâtre étant trop exiguë, il rachète en mars celle des Aciéries de France. Située sur le quai de Javel, elle couvre 34 000 m2, et offre des terrains adjacents, inoccupés ou dévolus aux maraîchers. Citroën remodèle a minima les ateliers existants pour lancer la production dès l’été 1915. Pour y parvenir, il loue à la ville de Paris des surfaces supplémentaires, le long des rues Chaix et Balard, pour y bâtir des ateliers. L’ensemble Aciérie de France-Chaix-Balard forme Javel, distinguant les opérations de métallurgie et de montage, l’outillage restant aux usines Mors. Javel est organisée pour les seuls obus de 75, à raison de 5 000 pièces par jour en 1915, 40 000 en 1918 ! Pour réussir pareille croissance, Citroën agrandit Javel qui passe de 55 000 m2 (1915) à 130 000 m2 (1918), s’étendant des quais de Seine aux rues Balard et Saint-Charles. Javel devient la vitrine de la rationalisation avec la décomposition des tâches et la déqualification de la main-d’oeuvre, notamment féminine, également la vitrine des oeuvres sociales avec les premières crèches et restaurants ouvriers. Fort de cette expérience unique (vingt-six millions d’obus livrés), Citroën annonce le 11 novembre 1918 que là où il a « fabriqué des obus pour la France », il fera demain des automobiles.

Jean-Louis Loubet
professeur d’histoire contemporaine
université d’Évry-Val d’Essonne
directeur de l’IDHES-Évry (UMR 8533-CNRS)

Source: Commemorations Collection 2015

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